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Magazine PROF n°21

 

Dossier L'école fait son cinéma

Du récepteur passif à l'utilisateur actif

Article publié le 01 / 03 / 2014.

Philippe Masse, professeur de français à l’École d’enseignement secondaire spécialisé Le Foya, à Anderlues, mène en classe des projets d’éducation au cinéma. Rencontre.

PROF : Comment avez-vous acquis des connaissances et du matériel au fil du temps ?
Philippe Masse :
Au départ, le terrain était favorable. Je suis cinéphile : j’ai donc vite réalisé des exercices pratiques d’analyse, en classe. Par exemple, je montrais un extrait de film avec une contre-plongée, puis un autre avec une plongée. Nous comparions ces angles, nous définissions ces termes et nous recherchions pour quelle raison l'émetteur a choisi ces angles de prise de vue. Ensuite, nous appliquions ces notions en filmant : quel angle choisir pour filmer un élève venant d'obtenir son diplôme ? Ou celui qui vient de recevoir une très mauvaise note à un contrôle ?

De fil en aiguille, nous avons participé à des concours de création de vidéogrammes. Par exemple, en 1997, au concours Utopies, quelle société pour demain ?, dans le cadre du festival Filmer à tout prix. Notre documentaire Expédition cosmique a été présenté au Centre Culturel Jacques Franck, à Bruxelles. L’année suivante, deux prix obtenus au concours interscolaire La liberté dans l'objectif nous ont permis de gagner une caméra.

J’ai acheté alors un logiciel de montage video (Magix). Autrefois, je travaillais avec des repiquages de cassettes VHS à partir de deux magnétoscopes, ce qui entrainait une piètre qualité d'image et des raccords approximatifs. Mais grâce à l'informatique, le pointage est devenu plus simple, plus rapide et a permis la qualité dans les transitions, les effets,...

En 2011, nous avons présenté, lors de l’appel à projets Éducation aux médias, Le dingue, notre premier court-métrage entièrement de fiction. Nous avons acheté un projecteur et une télé. Deux ans plus tard, ce fut, pour le même concours, une série de courts-métrages dans lesquels l'utilisation de la musique ou des sons est primordiale. Et nous avons acheté un écran de projection géant.

Chaque année, nous réalisons des courts-métrages qui sont projetés lors de la représentation théâtrale de la journée « portes ouvertes », où la vidéo se joint aux scènes jouées en direct.

Des extraits de films ou de séries…

Quels objectifs spécifiques poursuivez-vous en décodant des messages cinématographiques ?
Je précise d’abord que je propose des extraits de films (ou de séries) illustrant des objectifs bien précis. Diffuser un film en entier en classe prend trop de temps et les élèves risquent de décrocher s'ils ne s'intéressent pas au film. Autrefois, je devais enregistrer le film quand il passait à la télé (ou louer la cassette) et repiquer l'extrait sur une autre cassette. Avec le DVD, le travail a encore été plus facile. Et maintenant, il me suffit de capturer les extraits sur YouTube ou Dailymotion (grâce au logiciel gratuit A Tube Catcher), de les mettre sur une clé usb et d'utiliser cette clé sur une télé.

À partir d’un ou deux extraits de films illustrant une même notion, je pose des questions oralement et je donne un questionnaire écrit. Les objectifs sont multiples. Il s’agit de faire identifier le vocabulaire spécifique au cinéma (remake, franchise, voix off,…), le rôle des personnes mentionnées dans un générique, les publics visés ; de distinguer documentaire, fiction inspirée de faits réels, pure fiction ou reconstitution historique,…

Je cherche aussi à leur faire comprendre le rôle du contexte, la raison de l’utilisation d’un angle de vue, d’un plan défini. Je leur fais identifier les émotions exprimées par le visage, les signes du langage gestuel et postural, mais aussi découvrir les stéréotypes nés des prétendues correspondances entre les traits morphologiques et les traits du caractère.

Je leur explique en quoi les différentes qualités de lumière participent au sens des images. Je justifie le choix de certaines couleurs (le sépia pour évoquer le passé, par exemple) et je montre l'importance de la musique et des sons associés aux images.

Mes élèves apprennent aussi, notamment, à comprendre des images mises en opposition, des mises en images d'idées abstraites ; à reconnaitre et expliquer des messages basés sur l'ironie, les symboles culturels,… Ils découvrent aussi le procédé d'association des êtres ou idées qu'on veut défendre à des images ayant une valeur positive, et au contraire d'êtres ou idées qu'on veut combattre à des images avec une valeur négative (c'est le cas des films de propagande par exemple).

Ils peuvent prendre conscience de la variabilité de l'expression (et de la réception d'un message en fonction des individus). C’est-à-dire voir comment un même thème peut donner deux films différents en fonction de la personnalité des réalisateurs ou en fonction des époques d'émission et de réception.

Travaillez-vous aussi à partir d’autres matériaux liés au cinéma ? Des affiches, par exemple ?
Tout à fait. Et là aussi, c’est plus simple : autrefois, je devais acheter des revues proposant des jaquettes de films. Maintenant, tout se trouve sur internet. Je demande à mes élèves de repérer dans un premier temps les infos essentielles : titre, réalisateur, acteur, scénariste,... Puis viennent les activités liées au décodage de l'image, fixe, cette fois : l’utilisation de la couleur, les symboles, les mises en opposition,…

Des sorties cinéma ?
Oui, une fois par an. Et là, je propose une vingtaine de questions aux élèves à l'issue de la projection (ou après la vision d’un court-métrage en classe). Avec des questions de compréhension du message transmis.

J'accorde également beaucoup d'importance à l'expression du ressenti après un film, un court-métrage ou même un extrait : « J'ai aimé » ou « Je n'ai pas aimé ». Mais surtout pourquoi ? C’est intéressant de confronter les avis et se rendre compte que les gouts varient beaucoup entre élèves et… chez les adultes.

En lisant des critiques de spécialistes (ou d'internautes) sur des sites comme Cinébel ou Allociné, les élèves se rendent compte que les avis diffèrent parfois énormément. C'est un excellent exercice d'expression de ses sentiments et d'argumentation pour défendre ou descendre un film. Si j'étais dans l'enseignement ordinaire j'associerais à ces critiques écrites des podcasts d'émissions radio et je demanderais aux élèves qui le désirent de poster leurs propres commentaires. Comme mes élèves sont en apprentissage lecture ce n'est malheureusement pas possible.

Vous demandez aussi à vos élèves de créer des courts-métrages ou de petites séquences vidéo en classe. Comment procédez-vous de manière concrète ?
Ils réalisent une fiche de tournage indiquant le n° de plan, la technique utilisée (gros plan, zoom, plongée, plan rapproché,...), les lieux de tournage, les acteurs, les actions, les effets éventuels. Ils choisissent les musiques ou les bruitages. Nous avons fait tout un projet à partir de l'utilisation du logiciel gratuit Universal soundbank pour associer des scènes muettes aux sons qui les illustrent). Ils créent décors, costumes et accessoires.

Mes élèves interviennent, à certains moments, lors du filmage et de la réalisation du montage : importer ou ajouter une scène ; couper un morceau, une fin de scène ; ajouter un effet de transition entre deux scènes ou des effets spéciaux ; graver le dvd.

Le montage vidéo est assez compliqué pour mes élèves mais réalisable. Par contre, l'utilisation d'internet est plus facile (pour trouver des documents, les classer, pour télécharger des logiciels et les utiliser) ainsi que l'enregistrement d'émissions ou l'usage du streaming.

Démontant les mécanismes d'élaboration du message, l'élève arrive à déconstruire, à démystifier. Il prend du recul par rapport à ce qu'il regarde. En outre, les activités liées au cinéma font appel au classement, à la comparaison, à la compréhension des informations liées au temps et à l'espace. Elles permettent l'élargissement du champ mental, l'émission d'hypothèses,...

Le cinéma permet d'aborder une multitude de sujets liés à l'histoire, aux faits de société,… De quoi améliorer la culture générale.

J’ajouterais encore que de plus en plus souvent, l’élève qui regarde un film se retrouve seul face à ses émotions et à ses systèmes de réception. Il suffit de penser à la multiplication des systèmes de vision : télé, téléchargement, streaming. On ne se retrouve plus en famille comme autrefois devant le programme du soir. L'analyse du cinéma en classe permet à l'élève d'exprimer ce qu'il ressent et de verbaliser le message reçu au-delà de son contenu référentiel. Enfin, il ne faudrait pas oublier que la création de petits films en classe transforme l’élève récepteur passif de l'image générateur actif.

Propos recueillis par
CATHERINE MOREAU