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Magazine PROF n°1

 

Dossier Réussir dans le supérieur

Passer à la vitesse «supérieur»

Article publié le 01 / 03 / 2009.

Face au taux de réussite préoccupant en première année du supérieur, ne convient-il pas de dépasser les idées reçues sur les carences des jeunes ? De s’interroger aussi sur le choc frontal entre la patience nécessaire à la construction des savoirs et le sentiment d’urgence véhiculé par le déferlement médiatique ou les incessants appels à consommer ? Pour réinventer un rapport au savoir et aux apprentissages.

Dans l’enseignement supérieur, le taux de réussite globale (1) varie de 41,3 % dans le type court à 47,1 % dans le type long non universitaire. À l’université, il est de 44,6%. Dans le type court, seuls 22 % des jeunes hommes obtiennent leur baccalauréat en trois ans et 37 % en quatre ans (contre 36 et 54 % des jeunes femmes). Peut mieux faire ! Mais comment ?

C’est le passage de la première à la deuxième année qui est le plus difficile. Il pose la question de l’orientation (lire L'orientation manque de boussole) et de la préparation à l’enseignement supérieur en général, à la discipline choisie en particulier.

Il pose aussi la question de l’adaptation à l’univers du supérieur, couplée au passage de l’adolescence à l’âge adulte. En arrivant dans le supérieur, l’étudiant perd ses repères. Dans l’anonymat des auditoires, il est confronté à une liberté nouvelle qu’il doit apprendre à gérer. Une question plus sensible encore pour les étudiants « koteurs ».

Les enseignants du supérieur le constatent : certains étudiants travaillent trop peu, maîtrisent mal la langue française, adaptent trop lentement leur méthode de travail, témoignent d’une culture générale limitée, d’un esprit de synthèse approximatif, quand ils n’affichent pas tout simplement une capacité de concentration insuffisante.

Baisse de niveau ? À voir ! En 20 ans seulement, la proportion de diplômés du supérieur a doublé en Belgique, passant de 12 à plus de 24 % de la population, en 2006 (2). Sans doute cette massification de l’enseignement supérieur a-t-elle pour « dégât collatéral » une moindre adéquation de l’étudiant moyen avec la norme culturelle enseignée dans les hautes écoles et à l’université…

La « main invisible » de la réussite

Des études pointent d’ailleurs cette « main invisible » des déterminants sociaux qui seraient des facteurs prédictifs de la réussite. On observe en effet des corrélations élevées entre le taux de réussite et, notamment, le sexe, l’âge et le parcours des étudiants en secondaire.

De manière générale, les filles réussissent mieux que les garçons. Dans le type long, l’écart est de 9 % en faveur des filles ; il est de 15 % dans le type court. Il semblerait, mais c’est à vérifier dans le temps, que la différence s’atténue.

Deuxième facteur prédictif : l’âge. Ou plutôt le retard pris en secondaire. Plus l’étudiant en a à l’entrée dans le supérieur, moins il a de chances de réussir. Ainsi, 54,1 % des étudiants du secondaire général « à l’heure » réussissent à l’université, contre 34,3 % quand ils ont un an de retard et 15,9 % quand ils en ont deux. Dans le supérieur non universitaire, les écarts sont similaires.

Troisième corrélation observée : le parcours en secondaire. Un facteur très discriminant, surtout dans le type court, où la diversité de parcours est plus grande qu’ailleurs. Sortis du secondaire général, ils sont 47 % à réussir leur première année. Pour 8,5 % quand ils viennent du technique de qualification et 16 % s’ils sortent du technique de transition.

Une récente étude de Catherine Dehon et Elena Arias Ortiz (3) affine et complète des recherches antérieures sur le déterminisme social à l’université. Par leur analyse multivariée, ces spécialistes montrent l’importance du parcours scolaire et du milieu socio-économique sur la réussite en première année. Ainsi, l’activité professionnelle des parents, du père surtout, mais également l’éducation de la mère, constitueraient des facteurs de réussite importants. On observera qu’à parcours scolaire et niveau socio-économique similaires, étudiants belges et étrangers sont égaux.

Le rapport au savoir en constante évolution

Au-delà des carences des étudiants, et des facteurs sociaux, Bernard Rey, pédagogue à l’ULB, émet l’hypothèse d’une transformation de notre rapport au savoir. Au lieu de partir du postulat que les difficultés des étudiants émanent de leurs carences, Bernard Rey (4) relie ces difficultés à leur manière de concevoir et d’accéder au savoir. S’écartant des études antérieures, il s’est interrogé sur le langage, le caractère construit du savoir ainsi que la relation identitaire et affective au savoir.

Un : les discours professoraux ne renvoient pas à des réalités immédiates et concrètes, mais tirent leur sens des relations entre les énoncés. Habitués à un savoir contextualisé, exprimé dans un langage familier, beaucoup d’étudiants éprouvent le besoin de concrétiser, d’exemplifier ou de recourir au vécu personnel. Et de comprendre immédiatement. Le fait de s’accrocher augmente fortement les chances de réussite de l’étudiant qui sait faire preuve de patience.

Deux : la pratique de recherche des enseignants du supérieur impose aux étudiants une démarche intellectuelle qui va souvent au-delà de la matière enseignée. En outre, le caractère construit et donc instable du savoir académique perturbe souvent les étudiants de première année, encore habitués au savoir établi du secondaire. Sources de malentendus, les attentes des professeurs lors des évaluations vont parfois, elles aussi, au-delà de ce qui était attendu par les étudiants.

Trois : en quête de stabilité identitaire et de certitudes, les étudiants sont dans une logique d’affirmation de soi et de revendications. Leur relation au savoir peut être vécue comme une relation à l’enseignant. Cette dimension affective de l’apprentissage peut déboucher sur une dérive relationnelle du rapport au savoir de l’étudiant.

Réflexion ou miroir ?

Et ce rapport au savoir, on ne peut l’analyser sans tenir compte du véritable tsunami médiatique qui modifie complètement le paysage culturel de nos sociétés. Ainsi que l’expliquent les sociologues de l’hypermodernité comme Gilles Lipovetsky (5), nos sociétés post-industrielles se caractérisent par un excès d’individualisme, de consommation et d’affects. Par un hédonisme à la recherche de jouissances immédiates.

Or, certaines de ces caractéristiques s’opposent violemment à l’enseignement qui, tout à l’inverse, est centré sur le raisonnement, l’esprit critique et les différentes formes de l’intelligence. L’apprentissage académique requiert du temps et de la réflexion, là où les médias commerciaux ne donnent souvent comme réflexion que celle d’un miroir déformant…

Nous pouvons faire l’hypothèse, avec Mc Luhan, que le passage de l’écrit (et du verbe) à l’image animée a modifié complètement notre rapport au savoir, et particulièrement à son acquisition. Il y aurait donc aussi un déterminisme technologique de la réussite. Le langage de l’école est fait de mots ; celui des médias audiovisuels est constitué d’images. Or, ces deux langages n’ont pas du tout la même fonction, ni la même signification. Utilisée à des fins vénales, la force émotionnelle des images libère « du temps de cerveau humain disponible » pour Coca-Cola… Dans les universités et hautes écoles, le savoir est essentiellement transmis par voie orale. Or, certains étudiants ne sont plus capables d’écouter un discours verbal prononcé sur le mode de la conférence.

Régis Debray, qui explique également comment le passage de l’écrit à l’audiovisuel a modifié radicalement notre rapport au collectif, montre comment le vulgaire est devenu la norme : « Aujourd’hui, pour être cru, il faut être crû, c’est-à-dire de plus en plus direct, vulgaire, sans apprêt… Tout ce qui est cuit, réfléchi, déféré ou élaboré, passe pour arrogance ».

En outre, dans notre démocratie d’opinion, le contenu du message perd sa fonction essentielle au profit de la relation sociale. L’expression des sentiments personnels prime sur l’argumentation. Le passage de l’information à la communication résume bien cette transformation. Professeur de sociologie des médias à l’ULB, François Heinderyckx observe à cet égard que nous évoluons « vers un modèle fast-food de l’information », qu’il y a un « glissement du fond vers la forme » (6).

Or, l’enseignement supérieur est tout sauf un fast-food du savoir. Au contraire, loin d’être proposé en « clips », les savoirs y sont construits savamment, et ne s’acquièrent que lentement. Les séances de cours sont looongues… et sans publicité !

Ceci étant, à propos des conditions de réussite, au rang desquelles les étudiants eux-mêmes doivent se résoudre à placer l’effort continu, antithèse du zapping consumériste, on ne peut éluder la question de la qualité des enseignements. Ceux-ci ont quitté le confortable piédestal de l’autorité académique pour le terrain plus exigeant de l’accompagnement et de la gestion d’apprentissages.

Comme on le lira dans « Les étudiants de 1re Bac très encadrés » ), le décret du 18 juillet 2008 « oeuvrant à la promotion de la réussite » (7) balise les stratégies à mettre en place par les écoles et leurs enseignants, dont les pratiques seront dorénavant évaluées tous les deux ans. Les enseignants sont invités à utiliser ou créer des méthodes didactiques innovantes, adaptées à leur public, dont la diversité des parcours sera dorénavant prise en compte.

Sur le terrain, les enseignants n’ont évidemment pas attendu ce décret pour s’interroger sur la meilleure façon d’accompagner leurs étudiants vers la réussite, plus que jamais au centre de toutes les préoccupations.

Étienne GENETTE

(1) Les indicateurs de l’enseignement, n°2, édition 2007, pp. 58-61 (http://www.enseignement.be/index.php?page=28017&navi=2264)
(2) http://www.enseignement.be/download.php?do_id=1406
(3) What are the Factors of Success at University ? A Case Study in Belgium, CESifo Economic Studies 2008 (http://cesifo.oxfordjournals.org/cgi/reprint/54/2/121). Interview des deux auteures dans Esprit Libre, octobre 2008, pp.18-19 (http://www.ulb.ac.be/espritlibre/docs/octobre2008.pdf).
(4) « Pratiques pédagogiques dans l’enseignement supérieur et rapport au savoir des étudiants. Quelles difficultés d’apprentissage ? », in Le Point sur la Recherche en Éducation, n°31, février 2006. (rapport de synthèse téléchargeable sur http://www.enseignement.be/download.php?do_id=2622)
(5) Les Temps hypermodernes, éd. Grasset et Le Bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation, éd. Gallimard (NRF Essais).
(6) La Malinformation, éd. Labor (Quartier Libre), 2003.
(7) https://www.gallilex.cfwb.be/fr/leg_res_02.php?ncda=33275&referant=l01