logo infos coronavirus
logo infos Ukraine
logo du site Mon Espace
logo du pacte d'excellence
logo FAQ+
logo des annuaires scolaires
logo espace enseignant
logo des communiques de presse
logo du magazine PROF
 

Magazine PROF n°13

 

Dossier Évaluation de la formation initiale

Une démarche qualitative, quantitativement intéressante

Article publié le 01 / 03 / 2012.

La méthode d’analyse en groupe, utilisée ici, l’avait déjà été pour la consultation des enseignants du fondamental, du secondaire et du spécialisé, en 2003 et 2004. Elle a été élaborée et expérimentée par Luc Van Campenhoudt, professeur de sociologie, qui en explique les atouts.

La recherche-action confiée aux Facultés universitaires Saint-Louis, et menée par Véronique Degraef, Abraham Franssen et Alexandra Mertens, a appliqué la méthode d’analyse en groupe. Luc Van Campenhoudt, professeur à Saint-Louis et à l’UCL, nous la détaille.

Surpris par le nombre de sollicitations, les chercheurs ont rencontré 600 acteurs lors de la première phase du travail, explique Luc Van Campenhoudt.
Surpris par le nombre de sollicitations, les chercheurs ont rencontré 600 acteurs lors de la première phase du travail, explique Luc Van Campenhoudt.
© PROF/FWB/Olivier Papegnies

PROF : Comment caractérisez cette recherche-action ?
Luc Van Campenhoudt :
Cette étude est d’abord une démarche qualitative. Le quantitatif cherche des réponses gérables, donc assez simples et standardisées, à partir d’un échantillon représentatif composé en fonction des statistiques des différentes populations impliquées.

L’approche qualitative, plus riche, n’est pas l’analyse d’un petit nombre de cas ; c’est le recueil de réflexions argumentées, de témoignages d’expériences consistants, et d’évaluations auprès d’un échantillonnage diversifié. Ensuite, c’est la confrontation de ces différents matériaux les uns aux autres. D’où un niveau de profondeur important chez les participants. Nous n’avons pas d’échantillon quantitatif représentatif : nous avons mieux qu’un échantillon représentatif.

Qui a participé à ce travail ?
Nous avons rencontré six-cents acteurs en une centaine d’entretiens (1). Nous n’en avions prévu qu’une quinzaine au départ, mais nous avons été surpris par un nombre important de sollicitations, et nous avons accepté d’y répondre. Au lieu d’être des préparations de la deuxième étape du travail - les analyses en groupe -, ces entretiens ont offert un matériel colossal, à traiter en tant que tel. Les analyses en petits groupes des récits d’expériences vécues ont réuni cent-douze personnes. Elles forment le cœur de la méthode et des résultats.

À cela, il faut ajouter près de trois-cents personnes dans les différents forums, ou au comité de suivi, où nous avons confronté nos résultats, pour les affiner. Ainsi, notre démarche est bien participative : elle a impliqué un millier de personnes. Ce nombre rend notre démarche qualitative, quantitativement intéressante.

Convergences et divergences plutôt que consensus

Quels sont les critères de validité d’un tel travail ?
Il vise à une diversification maximale des profils dans le périmètre étudié. Nous avons varié les métiers : étudiants, enseignants de différents niveaux, peu ou très expérimentés, des assistants, des maitres de stage, des directeurs, des inspecteurs… Nous avons varié les réseaux, les filières, les disciplines.

Un deuxième critère est l’induction analytique. Après un premier nombre d’entretiens et d’analyses en groupe, on dégage déjà des résultats, des hypothèses. Ensuite, on les confronte dans une autre fournée de rencontres. Ainsi, on affine, on remplace et on corrige constamment.

Le troisième est la saturation. Chaque rencontre peut apporter des éléments nouveaux. Plus on en fait, plus on entend des répétitions. Après une centaine, tout ce qui se dit s’est déjà dit. On peut estimer qu’on a fait le tour et que rien d’important ne nous a échappé.

Vient enfin la justesse. Lors des rencontres, chaque intervention est une pièce du puzzle. Nous les synthétisons en essayant de rester loyaux par rapport aux contenus, tout en nous efforçant de les structurer avec cohérence, en dégageant leurs convergences et leurs divergences. Lorsque nous avons présenté cette synthèse aux forums, outre les nuances à apporter à ce travail, globalement, les participants nous ont dit mieux s’y retrouver que dans leurs propres interventions.

Pourquoi ne pas travailler uniquement sur les convergences ?
Viser à tout prix les convergences aboutit à des résultats flous, généraux, banals. Ainsi qu’à une forme de violence argumentative, réalisée par des ténors qui imposent leurs vues. Or, les gens vivent sur des planètes différentes, n’ont pas les mêmes intérêts, avec parfois des malentendus. Là où il y a des divergences, il y a du jus, intéressant, à approfondir. On ne peut s’entendre qu’en passant par là. Les participants saisissent ainsi les éléments en termes de relations : dans le groupe, les différentes interprétations peuvent se confronter et se répondre les unes les autres.

Du récit d’expériences aux perspectives pratiques

Dans la méthode d’analyse en groupe, tous les participants sont des co-analystes. Dans chaque rencontre, les notes des chercheurs se font au tableau et deviennent l’objet d’une discussion. Le but est d’arriver à un accord sur la formulation des désaccords. À ce moment-là, les convergences sont costaudes. On peut alors cerner, si pas les perspectives pratiques, au moins les enjeux. Le patron, ce n’est plus les individus, c’est la méthode. Une méthode où le jeu est correct, où tout le monde est sur pied d’égalité, où tout le monde se prend au jeu. Les personnes, toutes potentiellement intelligentes, sont aussi intelligentes que possible.

Ces analyses portent sur des récits. Chacun fait une proposition et le groupe choisit. Sur les cent-douze propositions, nous avons analysé une vingtaine de textes. Le récit doit être une histoire vraie et concrète, dont l’expérience est révélatrice. Avec un sourire, nous avons noté que les étudiants entraient facilement dans cette démarche de praticien réflexif, alors que les personnes qui avaient plus de recul ou plus d’expérience avaient plus de difficultés pour y arriver.

Sur quoi débouche tout ce travail ?
Ces analyses de groupe se sont penchées aussi sur la traduction des résultats en perspectives pratiques. Cette démarche se caractérise par la continuité d’une part, mais aussi la rupture : on réagit en fonction de ses valeurs, de ses idéologies, de ses choix politiques.

Les chercheurs ont essayé de faire une synthèse de ce travail en pointant les logiques, les cohérences (lire en début de dossier l’article de Véronique Degraef). Nous l’avons complétée par une liste de chantiers à entreprendre.

Nous en avons proposé huit lors des forums : définir le métier d’enseignant ; le profil du formateur d’enseignant ; valoriser la formation initiale, par exemple en redorant le statut des filières didactiques à l’université, en travaillant sur les normes et modalités de financement ; décloisonner la formation initiale pour lutter contre l’hiatus entre structures d’enseignement et de formation, comme le passage entre la maternelle et la primaire ou entre le secondaire inférieur et supérieur ; reconnaitre les acteurs de la formation initiale des enseignants (FIE) comme co-formateurs (et notamment les maitres de stage) ; articuler FIE, entrée dans le métier et formation continuée ; articuler FIE et recherche (notamment en didactique) ; clarifier les conditions d’accès à la formation initiale.

À la suite des forums et d’un travail d’analyse d’avis sur le sujet, nous en sommes venus à considérer que les résultats se recoupent très largement. Pourquoi alors le système parait-il toujours aussi complexe et génère-t-il autant d’insatisfactions ? Cette question appelle un autre chantier : un travail sur le système éducatif lui-même. Dans celui-ci, les acteurs (syndicats, réseaux, administrations, filières,…) sont amenés le plus souvent à fonctionner comme des organisations et à se préoccuper des problèmes organisationnels internes. Ils visent moins à fonctionner comme des institutions et à se préoccuper de missions liées aux besoins de leurs publics. On sent chez le millier de participants à notre recherche cette attente d’aller davantage vers ce qui « institue ».

Propos recueillis par
Patrick DELMÉE

(1) Pour en savoir davantage sur les différentes phases de la recherche, lire les pages 6 à 12 du rapport, disponible sur http://www.enseignement.be/index.php?page=26831&navi=3433&rank_page=26831