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Magazine PROF n°10

 

Dossier École et écran

Génération écran

Article publié le 01 / 06 / 2011.

Nous sommes entourés d’écrans qui forment presque une interface avec la réalité. Parmi eux, la télévision occupe une place toujours privilégiée. Quel est son impact chez les jeunes ?

La télévision, bientôt centenaire, se porte très bien. D’autres médias, plus jeunes, ont emprunté son look rectangulaire : l’écran. L’ordinateur, bien sûr, mais aussi les téléphones, les appareils photos. À la gare, il s’implante pour afficher les horaires, les publicités ou acheter un billet.

Faire de la télé à l'école est un bon moyen d'éduquer aux médias.
Faire de la télé à l'école est un bon moyen d'éduquer aux médias.
© PROF/FWB/Olivier Papegnies

Depuis peu, il devient aussi ardoise électronique. Et on le trouve dans les bus, dans les sièges des voitures, sur les frigos, bientôt dans les lunettes et les vêtements. Dans les moindres interstices, très recherchés par les publicitaires : dans une file d’attente, devant un feu rouge, près d’un ascenseur, nous emmagasinons des contenus, plus stimulés que dans une série d’autres circonstances. Ainsi, l’écran devient vecteur privilégié d’échanges de contenus. Et les jeunes n’y échappent pas.

La télé privilégiée

Un écolier français de primaire passe en un an davantage de temps devant la télé que face à son instituteur : 956 heures contre 864 (1). C’est dire que la télé occupe une place privilégiée dans les occupations des jeunes. Selon les auteurs de L’Enfance des loisirs (2), à 11 ans, le quotidien des Français est principalement occupé par la télévision (81% la regardent tous les jours). Suivent la musique, les livres, le sport, les jeux-vidéo, l’ordinateur. Ils sortent déjà : 83% sont allés au cinéma depuis le début de l’année scolaire, 56% ont visité un musée ou un monument et 44 % sont allés dans une bibliothèque.

À 17 ans, les usages évoluent : ils sont moins nombreux à regarder la télévision tous les jours (66%). Leur vie culturelle s’est musicalisée (68%). Le livre s’est progressivement retiré (9%). Mais surtout, l’ordinateur est devenu la première activité quotidienne (69%), pour communiquer, rechercher des documents mais aussi télécharger des consommations culturelles (vidéos, films…). Ces jeunes sortent davantage, surtout au cinéma, pour se détourner des musées, monuments et bibliothèques.

Une étude belge du Centre de recherche et d'information des organisations de consommateurs (CRIOC) va dans le même sens. Deux jeunes sur trois disposent d’une console de jeux ; près d’un sur deux a une télé dans sa chambre, et un sur trois un équipement média. Dans ce dernier cas, le lien avec le média (et sa vision) est souvent individuel. À noter que de plus en plus d’émissions sont regardées directement sur ordinateur (3).

Les perspectives

Autrefois séparés, les médias s’inter-connectent, ce qui favorise des loisirs multi-tâches chez les jeunes. La miniaturisation technologique rend les appareils légers, portables, mobiles et favorise une connexion constante. De plus, les portables, GSM, et autres tablettes tactiles permettent de consommer des images et autres contenus, mais aussi de les produire et de les diffuser très vite et très loin. C’est en tout cas le discours des lobbys technologiques.

Ce phénomène va-t-il s’accentuer ? Le professeur François Heinderyckx (ULB) relativise : « Sur les millions d’abonnés de Twitter, seule la moitié a déjà envoyé un tweet : les nouvelles technologies sont dominées par un discours où on confond souvent réel et possible. Plus concret, leur point commun est la gratification instantanée : je vois, je veux, je clique, j’ai. Cela favorise la loi du moindre effort et diminue le réflexe de vérifier la source du contenu, l’intention de l’auteur, bref, l’esprit critique ». Le psychiatre Serge Tisseron montre un autre impact sur le jeune : la télé influence la construction de son identité (lire "De la télé, oui. Mais au bon moment) dans PROF n°10, juin 2011). Il ne prône pas une interdiction des médias, mais une utilisation progressive. Par ailleurs, une étude de la professeure Linda Pagani (4) montre qu’une heure de télévision chez l’enfant pré-scolaire diminue de 7% sa capacité d’attention, augmente de 5% son indice de masse corporelle, et de 10% son « aptitude » à la victimisation…

« La télévision rend passif, insiste M. Tisseron. Et elle favorise chez l’ado le besoin de retrouver de l’activité… dans les jeux vidéos ». La passivité, une bonne affaire pour les gens de télévision. En 2004, le PDG de TF1, Patrick Le Lay, déclarait : « À la base, le métier de TF1, c'est d'aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit... Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible ».

Un enjeu commercial

Le jeune est aussi une cible commerciale. Selon le CRIOC, si au départ, les parents influencent le choix des jeunes, ces derniers, très tôt, influencent les achats du ménage - la « socialisation inversée » - en proposant des produits à acheter et en plaçant des produits dans le caddie lors des courses, ou en devenant prescripteurs dans les activités et loisirs auxquels ils participent (5).

Bref, la télévision n’a pas que des aspects positifs. Il importe donc de prendre le temps de lire la notice pour essayer d’en éviter les contre-indications. L’éducation aux médias et à l’image télévisée y aide. Quel est le rôle de l’école dans ce domaine ? Qu’est-ce qu’une bonne éducation à l’image ? Quels partenaires peuvent trouver les enseignants ? Quelques réponses dans ce dossier.

(1) http://www.numerama.com/magazine/18412-la-television-en-france-des-chiffres-impressionnants.html
(2) http://www.culturecommunication.gouv.fr/Thematiques/Etudes-et-statistiques/Publications/Collections-de-synthese/Culture-etudes-2007-2017/L-enfance-des-loisirs-CE-2011-6
(3) CRIOC, Jeunes et Média, janvier 2009.
(4) Pagani (Linda S.) et al., « Prospective associations between early childhood television exposure and academic, phsychosocial, and physical well-being bay middle childhood » in Archives of pediatrics & adolescent medicine, mai 2010. Téléchargeable sur : http://archpedi.ama-assn.org/cgi/reprint/164/5/425.pdf. Communiqué en français sur: https://www.eurekalert.org/pub_releases_ml/2010-05/aaft-t_2042710.php.
(5) CRIOC, Le jeune, prescripteur d’achat, mars 2010.

« De la télé, oui. Mais au bon moment »

Le psychiatre français Serge Tisseron s’est penché sur l’impact que la télévision a sur les jeunes enfants.

Le Gouvernement de la Communauté française veut mettre en place un système de filtrage des programmes télé, basé notamment sur l’introduction d’un code parental. Et lancer un système d’avertissement pour le téléspectateur qui accède à une chaîne destinée aux moins de 3 ans. Serge Tisseron approuverait, lui qui a lancé une pétition contre BabyFirstTV.

PROF : Pourquoi cette pétition contre BabyFirstTV ?
Serge Tisseron : Les chaines pour bébés annoncent de bons programmes de développement et de socialisation. Toutes les études montrent qu’il n’y a pas de bons programmes pour les bébés. Avant 3 ans, l’enfant ne comprend pas ce qu’il voit et sa mémoire est très brève. Il ne maitrise pas l’enchainement narratif. Le programme est comme un kaléidoscope. Et il ne peut encore en parler. Il ne faut pas interdire l’écran, mais éviter de le regarder plus d’une heure par jour. De plus, ces programmes ne comprennent pas de publicité ; mais les personnages vus par l’enfant se retrouvent plus tard dans les produits dérivés pour lesquels il deviendra prescripteur d’achat : le facteur caprice.

Quel impact la télé a-t-elle sur la construction de l’identité ?
Tous les programmes de fiction tournent autour de trois figures : la victime, l’agresseur, le redresseur de torts (1). Problème : les enfants s’identifient exclusivement à une figure et ont moins de plasticité psychique et de plasticité relationnelle. Ils ne jouent plus assez. Or, le jeu entraine justement plasticité et empathie.

Il y a donc un temps pour tout ?
À 4 ans et demi-5 ans, l’enfant commence à raconter et peut passer de la posture passive à la posture active de l’identité narrative. Environné d’un grand nombre d’images, il faut lui laisser le temps de les digérer et d’apprendre à le faire. L’enfant profite au mieux des écrans, s’il le fait au bon moment.

J’ai proposé la règle des «3-6-9-12» : pas d’écran avant 3 ans, pas de console de jeu personnelle avant 6 ans, pas d’internet accompagné avant 9 ans et pas d’internet seul avant 12 ans. La télévision peut devenir un outil positif… à condition de la relayer par un processus d’appropriation.

(1) Lire aussi "Maternelle : se construire par le jeu plutôt que par la télé" dans PROF n°10, juin 2011.