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Magazine PROF n°3

 

Dossier L'intégration, une lame de fond

Une locomotive à l’avant, une à l’arrière

Article publié le 01 / 09 / 2009.

Deux institutrices à temps plein, une classe : la formule mise sur les rails à l’école Sans Souci d’Ixelles. Nom de code : inclusion. Destination : qu’aucun élève ne reste à quai.

Contrastée, cette première primaire de l’École communale Sans Souci, à Ixelles, qui accueille des enfants de quarante nationalités. Des élèves sans difficultés particulières y côtoient des primoarrivants auxquels s’ajoutent six enfants présentant des troubles instrumentaux (type 8), inscrits préalablement à l’École d’enseignement spécialisé Les Mouettes.

L’intégration est un processus qui favorise l’adaptation de l’enfant à besoin spécifique dans un milieu ordinaire, avec un soutien spécialisé. L’inclusion, elle, est une démarche évolutive dans laquelle la personne en situation de handicap cherche à s’adapter le plus possible aux normes sociales, tandis que les institutions visent à accepter les différences (1). Dans ce cas-ci, l’école, avec l’aide d’intervenants spécialisés, se met au niveau de chaque élève.

Les six enfants à besoins spécifiques apportent chacun à l’École Sans Souci quatre heures de capital-période, qui permettent de détacher une « institutrice-locomotive » à temps plein. Expérimentée dans le spécialisé (2) (lire « Quelle formation ? »), elle soutient le travail de sa collègue. L’expérience pilote d’inclusion, lancée en septembre 2008, a nécessité une solide mise en train. « Nous avons dû accorder nos méthodologies pour l’apprentissage de la lecture, les mathématiques et l’éveil, commence Samar El Skaf, institutrice de l’enseignement ordinaire. Nous avons fixé la répartition des tâches, le seuil de tolérance en matière de discipline et des stratégies pour l’individualisation et le soutien des élèves en inclusion ». Nathalie Preudhomme, sa collègue du spécialisé, ajoute : « Nous prenons le temps, chaque jour, de réfl échir et d’améliorer nos méthodes, d’échanger nos regards (parfois très différents) sur les enfants, et de noter le comportement précis de chaque élève. Cela nous permet de changer nos méthodes directement sur le terrain pour que les enfants apprennent mieux ».

L’horaire hebdomadaire modifie les aiguillages. Tantôt les deux locos encadrent le convoi, tantôt celui-ci se divise en deux groupes, voire en trois quand le professeur de français prend les primo-arrivants sous son aile.

D’autres voyageurs au départ

« C’est la 3e école ixelloise qui ouvre une classe inclusive en 1re pour la mener jusqu’à la 6e, explique Philippe Hougardy, coordonnateur au service de l’Instruction publique. Nous essaimons dans nos écoles volontaires cette recherche-action dirigée par Philippe Tremblay » (lire Plus de ressources…).

Au sein de chaque paire d’enseignants s’engageant pour un cycle de deux ans, l’un provient de l’École Les Mouettes, avec l’expérience du spécialisé, ou s’engage à suivre une formation. Tous sont en concertation régulière avec l’équipe pédagogique et paramédicale des Mouettes. Le CPMS mixte (ordinaire et spécialisé) participe. Il réalise aussi l’examen pluridisciplinaire qui conditionne l’entrée des enfants dans le projet. Les collègues du cycle 5-8 collaborent à l’atelier lecture. Un courrier régulier personnalisé accroche les parents en prolongeant le Plan individuel d’apprentissage (lire « Plan individuel d’apprentissage »). « Louise (prénom fictif) a bien évolué mais elle rencontre des difficultés quand les calculs sont lacunaires (2 + … = 10) ; nous vous demandons de prendre certains jeux de mathématiques à la maison et de jouer avec elle », ont écrit Samar El Skaf et Nathalie Preudhomme aux parents d’une de leurs élèves.

Des atouts, des limites...

Le bilan ? « Notre travail en duo permet de remédier aux difficultés rencontrées par les enfants dès qu’elles se présentent », soulignent-elles. « Plus efficace qu’un rattrapage dans un autre local », ajoute Philippe Hougardy. L’expérience est source d’innovations pédagogiques, de motivation. « Nous partageons la responsabilité des progrès de nos élèves et nous gagnons en créativité. Ainsi, nous avons mis en place un atelier lecture par niveau au sein du cycle et une étude comme à la maison avec l’aide d’étudiants de l’ULB ».

Cette dynamique d’attention à la différence suscite le débat dans les écoles et entre elles. Elle a aussi une conséquence directe sur les enfants à besoins spécifiques : les « type 8 » entrent en général dans l’enseignement spécialisé à 8-9 ans ; à Sans Souci, ils sont diagnostiqués deux ans plus tôt. Autre atout : les élèves ne perçoivent pas qui est inclus ou pas dans la classe ; les « extraordinaires » vivent leur scolarité ordinaire sans expérimenter la discrimination. Enfin, tous les élèves bénéficient des stratégies de soutien mises en place. « J’injecte dans le projet mon expérience du type 8 et une formation supplémentaire à la dyslexie me permet d’utiliser certains outils, des jeux par exemple, précise Nathalie Preudhomme. Et comme nous collaborons avec la logopède qui vient chaque jeudi, tous les élèves en profitent ».

Et l’évaluation des élèves ? Ce sujet mettait l’institutrice mal à l’aise, jusqu’à ce qu’elle entende Philippe Tremblay argumenter : « On adapte l’évaluation pour des jeunes aveugles ; pourquoi alors ne fournirait-on pas des lunettes à des enfants souffrant de troubles de l’apprentissage ? » Ces lunettes, ce sont des encouragements fréquents et certaines adaptations. De même, un enfant saturé peut prendre une voie de traverse le temps nécessaire et reprendre le convoi original ensuite.

... et des bémols

Quelques bémols à ce tableau idyllique. Un tel projet repose sur l’entente du duo – à Sans Souci, les locos craignent déjà de redevenir des michelines solitaires à la fin de leur cycle de deux ans – et l’équilibre du temps consacré aux inclus et aux autres enfants en difficulté n’est pas toujours aisé. « Il faut éviter de croire que puisque nous sommes deux, on peut charger la classe, expliquent les institutrices. Vingt-quatre élèves, c’est un maximum ; vingt serait le nombre idéal. Et puis, les enfants stimulés sans cesse s’habituent à la disponibilité d’un adulte. On ne leur apprend pas la patience ».

Du côté du CPMS, si on reconnait les avantages du projet, on reste critique. Pour la directrice, Brigitte Briers, « c’est un peu trop tôt pour savoir si les équipes pourront toujours être de la même trempe, dans un projet qui a reçu toutes les chances pour réussir. Attention à ne pas trop charger l’enseignant et à éviter le décrochage d’un enfant ». Selon la psychologue Jézabel Lans, le projet ne convient pas à tous les enfants de type 8 :       « Un dysphasique a besoin d’une pédagogie encore plus adaptée ». Toutes deux ont l’impression d’avoir le rôle ingrat du tiers qui apporte un regard extérieur mal perçu, comme celui du garde-barrière qui rappelle certaines limites…

Patrick DELMÉE et Catherine MOREAU

(1) Selon les définitions citées par ROSE B. et DOUMONT D. dans Quelle intégration de l’enfant en situation de handicap dans les milieux d’accueil ? Service communautaire de Promotion de la Santé, septembre 2007.
(2) Dans un autre projet ixellois, un des enseignants s’engage à suivre une formation en orthopédagogie.

L'examen pluridisciplinaire

Pour être en intégration dans l'ordinaire, l'enfant doit être inscrit dans le spécialisé. Ce qui passe par une attestation d'orientation octroyée par un Centre PMS ou par un centre agréé, après examen pluridisciplinaire.

L'assitant social rencontre les parents et le jeune, récapitule son parcours. Le psychologue réalise un exame, et un entretien. L'infirmier récolte les éléments de l'anamnèse médicale, avec visite médicale et appel à un spécialiste si nécessaire.

Ces différentes collaborations permettent à l'équipe de déteminer dans quel type d'enseignement spécialisé inscrire l'enfant. L'avis, consultatif, n'est pas contraignant. Les parents peuvent aussi obtenir un autre avis. Valérie Gérard, directrice au Cantre PMS provincial de l'Université du Travail de Charleroi: « Nous recherchons la meilleure solution en travaillant avec les structures existantes pour rencontrer l'intérêt supérieur de l'enfant. Un frein possible: le phénomène des listes d'attente touche aussi l'enseignement spécialisé ». 

Quelle formation ?

Les enseignants ne doivent pas avoir suivi de formation spécifique pour travailler dans le spécialisé, mais les hautes écoles sensibilisent leurs étudiants, notamment par le biais d’un stage, de séminaires ou de cours. Il existe aussi un master en orthopédagogie et une spécialisation dans ce domaine en haute école ou en promotion sociale, ainsi qu’un certificat universitaire en intervention pour personnes handicapées. Une autre voie : la formation continuée fréquentée tant par les personnels de l’ordinaire que du spécialisé. L’Institut de la formation en cours de carrière et les réseaux lancent des modules de sensibilisation et de suivi de projets concrets en inclusion et intégration.

Plan individuel d'apprentissage

Complété régulièrement, le Plan individuel d’apprentissage (PIA) reprend les objectifs de l’élève et les moyens affectés pour y arriver. Ce PIA suit l’élève. Appliqué dans le spécialisé depuis 2004 (moins pour la forme 4, proche de l’ordinaire), ce PIA, utile selon certains, semble lourd à gérer pour d’autres. « Il compte un maximum d’outils, explique l’inspectrice Geneviève Vandecasteele. Or, il ne faut pas remplir toutes les cases, mais trouver l’outil qui répond aux diffi cultés de l’enfant : c’est un état d’esprit davantage qu’un remplissage de plus ».

Plus de ressources…

Philippe Tremblay, chercheur à l’ULB, dirige depuis 2007 une expérience-pilote d’inclusion : douze écoles adoptent le processus d’inclusion décrit dans ces pages.

Les duos d’enseignants travaillent comme les élèves, de façon socio-constructiviste, continuellement en recherche. Comparés sur deux ans aux résultats scolaires d’élèves du spécialisé, ceux des élèves inclus semblent meilleurs. Et il n’y a aucun redoublement sans la mise en place d’une solution, par exemple une autre classe inclusive. « Ce n’est pas la faute de l’enfant, dit-il. C’est l’école qui doit mettre en place des solutions. Ainsi, on lutte contre le redoublement scolaire ».

L’expérience-pilote concerne des enfants « diagnostiqués » en 3e maternelle. Certains objectent qu’on ne peut pas déceler un trouble instrumental si tôt. « Nous permettons aux enfants de type 8 d’être accompagnés plus tôt et de façon plus efficace, répond Phlippe Tremblay. Si nous sommes un peu plus larges, c’est au bénéfice des enfants en difficultés… »

L’expérience est-elle transposable pour d’autres types d’enfants ? « Nous allons entamer une autre recherche avec des élèves de type 3 (troubles du comportement et de la personnalité) avec une autre formule d’encadrement. Il faut rester souple. Le modèle des quatre heures peut devenir flexible, en fonction des besoins ».  Et il conclut : « L’inclusion, c’est moins de ségrégation, plus de motivation, plus de ressources ».