Magazine PROF n°52
Dossier L’apprentissage par les pairs
Si tu ne sais pas, demande.
Si tu sais, partage.
Article publié le 10 / 12 / 2021.
L’étymologie latine de « tutorat » renvoie à des actions telles que protéger, s’occuper de. Le tuteur est donc celui qui veille sur un autre, le prend sous son aile, entre pairs.
Sylvain Connac (1), enseignant-chercheur en sciences de l’éducation, définit le tutorat comme un système d’enseignement « où un enfant accepte pour un temps donné et avec un objectif précis d’accompagner un de ses camarades afin qu’il devienne autonome dans le domaine du tutorat »
Ce qui différencie le tutorat des autres méthodes de travail de groupes est que tuteur et tutoré ont une relation individuelle. Ils sont ce qu’on appelle des pairs. Ils doivent être d’âge proche, et partager le même langage. Le choix du tuteur n’est pas laissé au hasard ni à la bonne volonté de tout un chacun. Le tutorat fait l’objet d’un contrat établi entre le binôme et l’enseignant. Ce contrat définit la durée, les points posant problème, et peut être stoppé à la demande des élèves.
Des bénéfices d’ordre affectif
À l’issue d’expériences et de recherches sur le tutorat dans des écoles primaires belges, Diane Finkelsztein (2) pointe des bénéfices d’ordre socio-affectif, car le tutorat apporte un contexte favorable aux apprentissages. Il permet de « mobiliser la dimension affective au profit d’une activité cognitive ».
L’élève ne craint plus de faire des erreurs ; il retrouve confiance en lui et s’investit plus dans son travail. On constate également dans cette expérience que le climat de classe, les relations interpersonnelles et le comportement des élèves évoluent positivement. Tous, tuteurs et tutorés, prennent confiance en eux : chacun se sent valorisé, devient plus autonome et développe de l’empathie vis-à-vis des autres.
Des bénéfices d’ordre cognitif
Dans cette même étude, Diane Finkelsztein constate que la proximité d’âge et de développement entre élèves fait que le tuteur adapte sa communication au niveau de compréhension de son partenaire. Ils partagent un langage commun et une même expérience d’élève, ce qui est un avantage par rapport à l’aide qu’un adulte apporterait (3).
Du côté du tuteur, plusieurs études traitent de l’effet-tuteur. Il s’agit des bénéfices qu’un tuteur peut retirer de son rôle : en aidant un pair moins expert que lui, il va progresser car il va approfondir ses connaissances au cours des échanges réalisés pendant la séance de tutorat.
Les recherches de Jacky Cailler mettent en évidence que « c’est le tuteur qui bénéficie le plus du tutorat, parce qu’il est obligé de mettre en œuvre cette articulation entre pensée et langage ». Par exemple, un élève en difficulté de lecture qui va lire des histoires aux petits de la maternelle va se trouver valoriser. Il va modifier son niveau de langue, être plus exigeant quant à sa propre maitrise des savoirs. Et donc s’améliorer.
Organiser le tutorat
Le tutorat peut prendre diverses formes : au sein d’une classe de manière spontanée (aide) ou institutionnalisée par l’enseignant ; au sein d’un degré, de degrés différents au sein de l’école ; et même entre un jeune adulte et un groupe d’élèves (comme dans le projet Schola ULB.
À partir du moment où le tutorat est institutionnalisé au sein de la classe, ou de l’école, certains élèves seront reconnus comme experts dans un domaine donné. Les tuteurs peuvent alors aider un élève en difficulté si celui-ci en fait la demande.
Souvent, on définit des experts dans des domaines classiques comme le français, les mathématiques. Il est recommandé de définir d’autres domaines où les élèves moins à l’aise dans les matières classiques pourront eux aussi être reconnus comme experts et donc bénéficier également de l’effet-tuteur sans être discriminés.
Bien évidemment, il ne suffit pas de mettre les élèves par deux et de dire « X n’a pas compris ceci. Peux-tu lui expliquer ? »
Les séances de tutorat sont préparées par l’enseignant qui prévoit une série d’activités, délimite les tâches à réaliser et supervise ces séances.
En général, ces séances sont de courte durée : 10 à 30 minutes. Le binôme a un objectif à atteindre, et une série de tâches à réaliser pour y arriver. L’enseignant est présent pour superviser les échanges et pour intervenir en cas de difficultés, questions ou erreurs.
Les chercheuses en sciences de l’éducation, Christine Berzin et Corinne Lebert-Candat (4) démontrent dans leurs recherches qu’institutionnaliser le tutorat implique une organisation minutieuse et nécessite la formation des tuteurs. Elles démontrent que les tuteurs éprouvent des difficultés à guider l’autre et ont tendance à faire à la place de… « La difficulté du tuteur réside dans l’aptitude à trouver l’aide juste nécessaire pour permettre au novice de progresser. (5)»
Formation des tuteurs et constitution des binômes
Idéalement, la formation des tuteurs devrait être axée sur les objectifs suivants : comment communiquer les savoirs ? Comment définir ce que je sais en tant que tuteur ? Comment définir ce dont le tutoré a besoin ?
Quant aux binômes, ils peuvent être symétriques ou asymétriques. Est symétrique celui qui est constitué de deux élèves d’un niveau proche. Et asymétrique celui où un des deux est vu comme expert venant en aide à un condisciple en difficulté.
Symétrie et asymétrie peuvent également concerner l’âge des élèves. La proximité d’âge est un avantage car le tuteur adapte sa communication au niveau de son camarade en difficulté. Mais bénéficier d’un tuteur ayant une expertise supérieure est un atout pour le tutoré.
Une fois encore, le rôle de l’enseignant lors de l’élaboration et la supervision de ces binômes est essentiel afin que les élèves tirent des bénéfices de cette méthode de travail. Il doit connaitre ses élèves, pointer leurs capacités, leurs difficultés, afin de créer des binômes cohérents. Ceux-ci ne sont pas figés dans le temps et peuvent changer au fil des acquisitions de savoirs et compétences.
Les avantages
Les élèves ont besoin d’interactions fréquentes, de montrer ce qu’ils connaissent, ce qu’ils ont compris, et de recevoir une rétroaction immédiate, des conseils et des encouragements.
En pratiquant le tutorat, il a été démontré que le nombre d’occasions pour les élèves de réagir augmente, de même que le temps consacré à une tâche, la quantité de rétroaction immédiate et sa rapidité. Autant d’éléments contribuant à la réussite des élèves (6).
Dans son mémoire, Guillaume Rivet (7) relate des expériences réalisées lors de ses stages dans sa classe de CE2 dans le 10e arrondissement de Paris.
La classe était composée de treize filles et dix garçons de niveaux disparates : six élèves étaient très à l’aise dans l’ensemble des disciplines, trois étaient en grande difficulté, six autres présentaient des grandes difficultés en français. Face à l’hétérogénéité de la classe, une différenciation était nécessaire. Le tutorat a été une des formes de différenciation mise en place au sein de la classe (8). On constate les effets positifs du tutorat tant sur le plan socio-affectif que sur le plan cognitif pour tous les élèves.
(1) CONNAC S., Apprendre avec les pédagogies coopératives, Paris, ESF Editeur, 2017, p.52.
(2) FINKELSZTEIN D., L’enseignement par élèves-tuteurs : une forme de l’ATPE, Cahiers pédagogiques, n°289, 1990, p.43-45.
(3) FINKELSZTEIN D., ibidem.
(4) BERZIN Ch., LEBERT C., Interactions de tutelle, développement et apprentissages. 2e partie : Contribution aux acquisitions scolaires et professionnelles, Carrefour de l’éducation, n°11, 2001, p.120-147.
(5) Ibidem.
(6) BOWMAN-PERROT L., DAVIS H., VANNEST K., WILLIANS L., GREENWOOD C., PARKER R., Academeci Benefits of Peer Tutoring: A Meta-Analytic Review of Single-Case Research, School Psychology Review, n°42, 2013, p.39-55.
(7) RIVET G., L’impact du tutoriat entre pairs sur la progression des élèves, Éducation, 2018 (http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01917298/document).
(8) Tous les résultats et le contexte d’expérimentation sont consultables via http://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01917298/document.
Schola ULB
Un étudiant de l’ULB prend sous son aile entre trois et huit élèves d’une école partenaire. Ce projet s’adresse aux élèves des écoles primaires et secondaires ordinaires et qualifiantes des 19 communes de la région de Bruxelles-Capitale.
Plus d'infos : www.schola-ulb.be.
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