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Magazine PROF n°50

 

Droit de regard 

« Toutes les identités m’appartiennent, mais moi, je n’appartiens à personne »

Article publié le 17 / 06 / 2021.

Après un spectacle, Chaïma, une jeune fille en colère se définissant d’abord par sa religion, interpelle vivement Sam Touzani. Commence alors un dialogue sur l’identité.

Vaste thème que celui de l’identité (1) dont traite Sam Touzani depuis plus de 25 ans, tant sur scène que dans ses écrits. « Qui suis-je ? Où vais-je ? » Des questions souvent attribuées à la jeunesse, mais qui in fine sont celles que tout être humain se pose tout au long de sa vie.

Sam Touzani : « Je suis le fruit de l’éducation de femmes qui ont su dire non dans un contexte patriarcal ».
Sam Touzani : « Je suis le fruit de l’éducation de femmes qui ont su dire non dans un contexte patriarcal ».
© Jef Boes

Cette identité qui n’est pas une ni figée, mais multiple et en perpétuelle mouvance. Cette identité qui se construit en famille, en se frittant aux autres dans la société et à l’école. Quel regard porte-t-il sur cette institution ? Quelle est la responsabilité de cette dernière dans la construction de l’identité des enfants qui lui sont confiés et qui seront les citoyens de demain ?

PROF : Quel rôle a joué l’école dans la construction de votre identité ?

Sam Touzani : L’école a été un pilier essentiel, une fondation. J’ai eu la chance d’avoir des enseignants qui aimaient enseigner et qui formaient. Non seulement à la connaissance, mais qui arment, outillent intellectuellement le futur citoyen.

J’ai eu des balises qui m’ont permis d’avancer dans les ténèbres, sans trop savoir où j’allais. L’école est d’abord là pour enseigner, ensuite pour éduquer. Même si l’éducation relève d’abord de la famille. Je suis le résultat de l’éducation de femmes, ma mère et mes soeurs, dans un milieu complètement patriarcal. C’est tout cela qui a permis la construction de mon identité plurielle.

J’essaie d’être critique vis-à-vis de l’école, car l’école m’a énormément apporté. C’est un coup de coeur et j’y suis toujours allé avec plaisir, même si je n’aimais pas toutes les matières. C’est à l’école que j’ai découvert ma vocation d’artiste : je serai acteur, danseur, auteur.

C’est au cours de morale, à l’âge de 12 ans, que j’ai mené mes premiers combats, où le débat pluriel était possible, où j’ai appris à penser par moi-même, à avoir mes premières réflexions concernant le libre-arbitre et l’universalisme que je défends et comprends mieux aujourd’hui.

Il y a des choses pour lesquelles nous ne devrions jamais déroger pour le fonctionnement d’une société démocratique : l’éducation et l’enseignement qui permettent de former des citoyens ; la culture qui nous permet de créer un imaginaire, de ne pas se confondre ni avec sa culture ni avec sa religion ; les soins de santé et le logement qui devraient être accessibles à tous.

Comment percevez-vous l’école aujourd’hui ?

L’école est comme la société. Elle a changé. À certains points de vue, il y a des régressions. En discutant avec de nombreux enseignants, ils me racontent leurs difficultés face à certains apprentissages comme la théorie de l’évolution, la Shoah. Les profs sont désemparés.

Je constate également que si les programmes sont semblables dans les grandes lignes, ils ne s’appliquent pas de la même manière selon les pédagogies, selon les profs, selon les publics avec leurs héritages et leurs questionnements différents. Les disparités sont très grandes. Pour une même matière, il y a des différences énormes dans la manière de la traiter.

Je constate que le poids de la collectivité pèse aussi sur l’école. Il est alors difficile pour un jeune d’apprendre qui il est, de découvrir qu’il est autre chose que ce à quoi le collectif le réduit. Depuis une dizaine d’années, on n’est plus vu comme un citoyen, mais au travers d’un prisme ethnico-religieux.

Trop souvent, on est réduit à une seule identité : la religion ou la race ou le genre ou autre chose. Le collectif, le groupe est rassurant. C’est ce poids que l’on sent peser aussi dans l’école. La question est alors « Comment fait-on quand on est issu d’un groupe ayant des modèles fort ethnico-religieux des quartiers, de la famille pour se construire, si en plus on retrouve cette pression à l’école ? Comment fait-on pour se connaitre ? »

Comment l’école peut-elle agir pour aider un jeune à construire son identité ?

Si les profs enseignent des savoirs, ils sont aussi là pour apprendre au jeune à se questionner, à chercher du sens. Le prof, il ressent cette pression du collectif. Il n’est pas toujours outillé pour y faire face. Certains ont peur, d’autres sont dans l’empathie, d’autres développent l’esprit critique du jeune.

En fait, l’école devrait être le lieu où l’on n’hésite pas à provoquer le choc des idées. Mais ce choc des idées ne doit pas se faire dans la violence. On doit apprendre aux élèves l’esprit critique : critiquer une idée n’est pas critiquer une personne. Que le débat se fait dans le respect de l’autre, sans insulte ni injure ni violence. Il faut faire en sorte que dès la maternelle, les enfants entendent et soient confrontés aux diversités d’opinions. Si chacun reste dans son clan, on n’en sortira pas.

Pour construire son identité, on doit sortir du chemin tracé par d’autres et trouver son propre chemin. L’école est là pour aider l’enfant à tracer son chemin et lui montrer qu’il n’est pas réduit à un élément.

Pour construire son identité, on ne doit pas jeter à la poubelle ses racines. On doit la construire en prenant par-ci par-là ce que l’on apprend seul, des autres et avec les autres. Je prône la diversité au sein de l’école, que ce soit en termes de genres, de personnes différentes, handicapées ou non, socialement, culturellement. Une identité plurielle se construit au contact des autres, grâce au débat d’idées, grâce à la reconnaissance de l’autre dans sa différence sans le stigmatiser ni lui coller une étiquette.

L’autre n’est pas qu’un musulman, un athée, un gay ou un handicapé. Il est cela plus toute une multitude de choses selon ses aspirations, ses passions, son vécu, ses désirs, ses racines. Mais pour cela, il faut avoir les outils : les mots. Pour ne pas imploser, pour ne pas exploser, le langage est essentiel. Quand on confronte des idées, des opinions, on peut tout dire dans le respect, sans injure ni violence si on a les mots.

Si je n’étais pas artiste, je serais prof. Je préfère artiste car je n’aurais pas la passion d’être prof parce qu’être prof, au-delà de maitriser ses passions, il faut gérer des groupes et les accompagner tout le temps. Artiste, vous donnez le temps du spectacle, du livre et puis l’oeuvre fait son chemin. Dans l’artistique, tous les possibles sont envisageables.

Il y a une responsabilité énorme de la part des profs en matière de transmission de valeurs. C’est souvent ce qui reste après quand on se remémore ses anciens profs. Ce sont les valeurs qu’ils ont transmises, ceux qui apprennent à l’élève à se questionner, à donner du sens.

De même, il faudrait plus de cours artistiques. L’équilibre entre l’art et la raison libère. C’est pour cela que je fais beaucoup de matinées scolaires, car l’art permet de ressentir, de rencontrer l’autre dans ses différences. Le théâtre touche le coeur avant la tête. Ensuite, on peut échanger, réfléchir sur les émotions ressenties qu’elles soient positives, négatives. On peut alors rencontrer l’autre, échanger et se construire.

Vous terminez l’écriture de votre livre avec l’annonce de l’assassinat de Samuel Paty. Et une question : allons-nous assister médusés et impuissants à un inexorable choc des identités ? Que peut faire l’école pour s’en prémunir ?

Je suis un optimiste même si sur certains points je suis plutôt pessimiste. Il faut créer ces fameux chocs émotionnels dont j’ai parlés précédemment. Il ne faut pas avoir peur de choquer, de confronter les idées et surtout éviter le communautarisme. Faire en sorte que les enfants soient confrontés à la diversité partout : à l’école, dans les lieux culturels, le sport. C’est de cette diversité, de ces échanges, que les identités se construisent. Plus elles sont multiples et variées, plus elles sont riches, et plus elles s’apporteront les unes aux autres au lieu de se confronter dans la violence.

Propos recueillis par
Hedwige D’HOINE

(1) À lire dans TOUZANI S., Dis, c’est quoi l’identité ?, Bruxelles, Renaissance du Livre (coll. Dis, c’est quoi ?), 2021.

En deux mots

Sam Touzani est comédien, metteur en scène, auteur, danseur-chorégraphe, belge d’origine marocaine, né à Bruxelles en 1968.

Que ce soit à travers ses écrits ou ses spectacles, Sam Touzani, homme de convictions humanistes, aborde sans tabou, parfois au mépris de sa sécurité, les questions d’identité, de sexualité, de religion, d’intégration, de laïcité. Ses productions engagées ont un point commun : l’espoir en l’Humain, le vivre-ensemble, le débat et la liberté d’expression.

Sam Touzani : « Je suis le fruit de l’éducation de femmes qui ont su dire non dans un contexte patriarcal ».

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