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Magazine PROF n°4

 

Dossier Lecture : des signes aux sons et aux sens

Le tutu de Lola

Article publié le 01 / 12 / 2009.

L’apprentissage de la lecture – et de l’écriture qui lui est liée – est d’autant plus complexe qu’il n’est pas naturel, mais nécessite à la fois des stratégies simultanées de décodage et de compréhension. La découverte du principe alphabétique et du code spécifique à la langue française doivent s’accompagner d’habiletés variées, à développer tout au long de la scolarité.

L’apprentissage de la lecture est l’affaire d’une vie : il commence dès la naissance avec l’acquisition naturelle du langage oral, son préalable indispensable, et se poursuit par le développement d’habiletés techniques et de stratégies de compréhension très complexes. Il nécessite un enseignement explicite qui n’est pas une exclusivité de l’école primaire ni du cours de français, car il concerne toutes les disciplines scolaires, et s’améliore tout au long de la scolarité. Il est à la source de nombreux apprentissages ultérieurs, et de moult plaisirs littéraires, mais aussi de beaucoup d’échecs socioprofessionnels et scolaires. C’est dire son importance !

Une mauvaise lecture n’est pas qu’une affaire d’opticien ! Nous savons aujourd’hui que le facteur prépondérant pour la réussite de la lecture n’est pas tant la méthode utilisée par l’enseignant que l’enseignant lui-même. L’apprentissage de la lecture est une affaire trop importante pour qu’on le ramène à une querelle de méthodes (lire notre encadré), aujourd’hui dépassée. Dépassée ? À voir ! N’empêche, malgré les divergences encore très vives parfois entre partisans et adversaires de l’une ou l’autre méthode, un consensus semble animer la communauté scientifique sur un certain nombre d’éléments. Faisons brièvement le point.

Il faut combiner les démarches d'apprentissage car chaque enfant a ses besoins spécifiques.
Il faut combiner les démarches d'apprentissage car chaque enfant a ses besoins spécifiques.
© PROF/FWB-Jean Poucet

Papa : deux sons, quatre lettres

Une des premières pierres d’achoppement pour les apprentis-lecteurs réside dans l’accès au principe alphabétique° (° Lire notre glossaire), c’est-à-dire des correspondances graphèmes°-phonèmes°. La représentation des phonèmes par des lettres arbitraires n’est pas immédiatement comprise par nos jeunes décodeurs. Ainsi, par exemple, l’enfant n’est pas immédiatement capable de se représenter mentalement les phonèmes / p / et / a / du son / pa /. Il a beau dire / papa / depuis longtemps, il lui est très difficile de comprendre que ce mot si familier s’écrit avec quatre lettres alors qu’il entend deux sons. C’est ici que l’école maternelle peut jouer un rôle précieux en développant chez l’enfant une conscience phonologique° (conscience des rimes, allitérations, longueur des mots…) et phonémique (conscience des phonèmes). Ainsi que l’explique Jocelyne Giasson, de l’Université Laval, au Québec, « la perception de la séquence des phonèmes dans un mot est une tâche difficile ;en tant qu’adulte, il suffit de penser à la difficulté que nous avons parfois à percevoir la séquence des notes dans une mélodie » (1).

Pour la seule opération de décodage du langage écrit, la découverte du principe alphabétique demeure une condition nécessaire mais non suffisante. Elle s’applique à toutes les langues alphabétiques, mais encore faut-il apprendre à maitriser le code° orthographique qui est spécifique à chaque langue. Les langues présentent des degrés de difficulté très variables, de la transparence presque totale de l’italien à l’opacité plus grande du français et de l’anglais. Ainsi que l’explique le Pr Morais (ULB), l’anglais a 1 120 manières de représenter 40 phonèmes, alors que l’italien n’a que 33 façons d’en représenter 25 (2). C’est dire qu’il y a une correspondance quasi parfaite entre phonèmes et graphèmes en italien, à l’inverse de l’anglais. Comme celui-ci, le français appartient à la catégorie des langues opaques. On ne s’étonnera pas, dès lors, que le taux d’erreurs de lecture en fin de première année soit de 5% en Italie, de 28% en France et de… 67% en Grande-Bretagne (3).

La langue française étant elle-même opaque, on comprend qu’elle pose d’énormes problèmes d’apprentissage. Si le mot « canari » se lit et s’écrit aisément, ce n’est pas le cas du mot « oiseau », pourtant plus courant. Chacun de ses trois phonèmes (/ wa /, / z /, / o /) pose problème. L’écriture n’échappe pas à d’autres problèmes de correspondances entre phonèmes et graphèmes. Ainsi, par exemple, le phonème / o / à lui seul peut également s’écrire avec des lettres bien différentes (« ô », « au », « aud », « aut », « eau »…). C’est l’occasion de rappeler ici qu’il ne s’agit plus de sanctionner les fautes, qui sont normales, mais de valoriser les réussites ! Chaque enfant a ses besoins spécifiques et si toutes les méthodes marchent, elles ne marchent pas toutes avec tous les enfants. Il faut donc combiner les démarches didactiques pour optimiser ses chances de réussite.

Des stratégies variées

Aujourd’hui, l’approche de la lecture est multidisciplinaire : elle fait appel, au moins, aux connaissances en linguistique, en psychologie cognitive et du développement, en didactique et en pédagogie. L’imagerie par résonance magnétique nous permet d’explorer les « circuits neuronaux de lecture » et de (commencer à) comprendre les mécanismes cérébraux qui sont en jeu dans l’acte de lire.

Les connaissances actuelles en neurosciences semblent démontrer que la méthode globale employée seule, ne serait pas la plus efficace car « elle ne correspond pas à la manière dont fonctionnent les réseaux neuronaux de la lecture ». C’est du moins ce qu’explique Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France (4), selon qui cette méthode ne serait pas adaptée à l’architecture de notre cerveau de primate car elle fait appel à l’hémisphère droit alors que la lecture experte active l’aire occipito-temporale ventrale gauche du cerveau. Rien moins !

Toutefois, il ajoute aussitôt : « Il est bon que la plupart des livres scolaires, aujourd’hui, fassent très vite appel à des petits textes signifiants plutôt qu’à des lignes de charabia sur le tutu de Lola. Mais la compréhension passe avant tout par la fluidité du décodage. Plus vite cette étape est automatisée, mieux l’enfant peut se concentrer sur le sens du texte ». Si le décodage phonologique des mots demeure une étape clé de la lecture, on sait que cette étape déjà très complexe n’est pas suffisante pour comprendre un texte, ce qui est tout de même l’objectif.

En réalité, la neuropsychologie démontre qu’aucune des deux voies de lecture (par le son et par le sens) à elle seule ne suffit à lire. Une lecture experte combinant les deux, les spécialistes s’accordent à dire qu’il faut donc apprendre simultanément à développer des habiletés de décodage et de compréhension. Une certitude : le développement de stratégies variées permet d’améliorer les compétences du lecteur. Celles-ci reposent sur les structures cognitives et affectives du lecteur, et sur les processus simultanés qu’il met en œuvre durant l’acte de lecture. Un enseignement différencié de stratégies diversifiées s’avère donc indispensable à un apprentissage efficace. C’est l’affaire des professionnels formés à cette fonction pédagogique de haut niveau, soutenus par l’ensemble de la communauté éducative, parents compris.

Favoriser la lecture, en famille et à l’école

L’école joue un rôle d’autant plus important que l’écart entre bons et mauvais lecteurs se creuse dès l’âge de 8 ans (5). Déjà ! Au cercle vertueux des uns (les bons lecteurs deviennent toujours meilleurs) s’oppose le cercle vicieux des autres (les mauvais lecteurs se découragent et abandonnent rapidement). L’on veillera donc à consacrer beaucoup de temps de lecture à cette période délicate correspondant à la fin du premier cycle et au début du deuxième cycle primaires. Mais l’apprentissage de la lecture ne s’arrête pas là. À chaque étape de l’apprentissage de la lecture correspondent des stratégies différentes qu’il convient d’acquérir et développer.

Nous en avons tous fait l’expérience : la fluidité reste une condition sine qua non de la compréhension des textes. Les études montrent qu’une lecture régulière – et notamment la relecture des mêmes textes – améliore la fluidité davantage que le décodage de mots isolés. On ne dira donc jamais assez à quel point parents et enseignants doivent favoriser la lecture durant toute la scolarité, tant à l’école qu’en dehors de celle-ci. C’est aussi l’occasion de rappeler ici l’importance de la qualité des textes et du contexte pour un apprentissage efficace. On lit d’autant mieux qu’un climat détendu et des textes intéressants favorisent le plaisir de lire. Il ne faudrait pas que la lecture devienne l’apanage d’une classe de lecteur, comme c’était le cas avant la scolarisation de masse.

Enfin, la lecture est un processus de construction de sens qui doit être conçu dès le départ comme une résolution de problèmes (6). Le lecteur « construit » le sens du texte à partir d’indices graphiques, syntaxiques et sémantiques. Lire, c’est faire sans cesse des inférences (des hypothèses et déductions logiques) et les vérifier ; c’est inter/préter, c’est-à-dire prêter du sens, entre l’explicite et l’implicite, entre dénotation et connotation. Cela ne signifie nullement que l’on peut faire dire n’importe quoi aux textes, bien au contraire.

C’est ici que de nouvelles stratégies de lecture adaptées à tous les niveaux d’enseignement sont nécessaires : distinguer l’essentiel de l’accessoire ; comprendre la structuration du texte et ses liens logiques ; synthétiser ce qui est déjà lu ; établir des relations avec des savoirs déjà connus, etc. Il y a toujours de nombreuses interprétations possibles pour chaque texte. La route est longue entre le point de départ et la ligne d’arrivée qu’on n’atteint pourtant jamais, la compréhension totale n’étant jamais possible. Paradoxe du langage qui nous délivre et nous enferme à la fois !

La connaissance de la langue n’est pas tout. Outre la richesse du répertoire lexical – fondamental pour une bonne lecture –, encore faut-il avoir une bonne culture générale et une expérience de la vie pour comprendre un texte. Ainsi, plus le lecteur partage d’expériences communes avec l’auteur d’un texte, mieux il en saisit le sens. Et plus il connaît le sujet d’un texte, mieux il le comprend. On raconte que des gamins lisant un texte parlant de football le comprennent généralement mieux que les filles. L’histoire n’est pas si anecdotique. Elle montre qu’il vaut mieux partir de textes portant sur des sujets déjà connus des élèves.

Alors, l’apprentissage de la lecture ne se termine donc jamais ? Non, car nous pouvons toujours améliorer nos compétences à la fois de décodage (lire plus vite par exemple) et de compréhension (comprendre mieux le sens d’un texte). C’est l’apprentissage d’une vie entière, avec ses étapes et ses stratégies qu’il nous faut apprendre à maîtriser, à l’école, en famille et en solo. Ou avec Lola, mais sans tutu cette fois…

Étienne GENETTE

(1) GIASSON J., La lecture. De la théorie à la pratique, De Boeck, Bruxelles, 1997, p. 152.
(2) Exemple donné par le Pr Morais lors d’une conférence-débat organisée par l’ULB sur l’apprentissage de la lecture (Bruxelles, le 10 octobre 2009).
(3) DEHAENE S., Les neurones de la lecture, Odile Jacob, Paris, 2007, p. 306.
(4) id., pp. 291-301.
(5) GIASSON, op. cit., p. 200.
(6) Voir notamment LAFONTAINE D. et al., Outil pour le diagnostic et la remédiation des difficultés d’acquisition de la lecture en 1re et 2e années primaires, Service général du Pilotage du système éducatif, Bruxelles, 2007, p. 14. http://www.enseignement.be/index.php?page=23827&do_id=2976&do_check=

Deux méthodes de lecture

Schématiquement, il existe en matière d’apprentissage de la lecture deux types opposés de méthodes « pures », synthétique et analytique (ou globale). Même si une majorité d’enseignants de 1re et de 2e années primaires disent appliquer une démarche mixte (1).

Méthode « synthétique »
Elle se base sur le principe alphabétique (le fameux B A BA). L’enfant apprend à lire à partir des lettres de l’alphabet selon une progression allant du plus simple au plus complexe, des lettres aux syllabes, des syllabes aux mots et des mots aux phrases puis aux textes par assemblage (« synthèse »). C’est donc une approche par le code (on dit aussi approche par le son car l’enfant apprend les correspondances graphèmes-phonèmes). La maitrise du décodage est considérée comme le préalable à la compréhension : mieux l’enfant maitrise le décodage, plus fluide sera sa lecture, et mieux il pourra mobiliser ses ressources cognitives pour comprendre ce qu’il lit. Cette méthode est également appelée, avec des nuances, « alphabétique », « syllabique » ou « traditionnelle ».

Méthode « analytique » ou « globale »
À l’inverse, la méthode analytique part de phrases entières (d’où l’expression « méthode globale »), par décomposition (« analyse ») des phrases en leurs mots, syllabes et lettres. C’est surtout une approche par le sens, qui met d’emblée l’accent sur la compréhension de phrases courantes, réelles, éventuellement formulées par les enfants eux-mêmes (ayant un sens et non données en vue du seul déchiffrement). Ici, on ne sépare pas les opérations de décodage et de compréhension. C’est une procédure par « adressage » (qu’on appelle également « voie directe » ou « lexicale »). Les mots appris sont stockés dans le lexique mental du lecteur qui les reconnait ensuite au cours de ses lectures sans devoir procéder à leur déchiffrement, lettre par lettre.

On sait aujourd’hui que les opérations de décodage et de compréhension sont nécessaires à la lecture. Aucune des deux voies de lecture, à elle seule, ne permet de lire tous les mots.

É. G.

(1) LAFONTAINE A. et NYSSEN M.-C., Apprentissage de la lecture en 1re et 2e années primaires, Ministère de la Communauté française, septembre 2006, p. 23.

Glossaire

Phonème
La plus petite unité distinctive de la langue parlée. Il y en a 36 en français. Un son peut être constitué de plusieurs phonèmes. Le mot « chat » suppose une seule émission de voix, mais comporte deux phonèmes (/ch/ et /a/). Les apprenants ont beaucoup de difficultés à percevoir les phonèmes au sein des mots, de la même manière que nous éprouvons beaucoup de difficultés à percevoir les notes d’une musique.

Graphème
La plus petite unité distinctive de la langue écrite (lettre ou groupe de lettres) correspondant à un phonème. Un phonème peut être représenté par différents graphèmes. Ainsi, le phonème /on/ peut s’écrire « on », « ont », « ompt », « ond », « onc »… Il y a donc beaucoup plus de graphèmes que de phonèmes. Un graphème est dit simple lorsqu’il est constitué d’une seule lettre («tu» est composé de deux graphèmes simples : « t » et « u ») ; et complexe lorsqu’il y en a deux ou plusieurs (« chaud » est composé de « ch » et « aud »).

Correspondances graphèmes-phonèmes
Les graphèmes de la langue écrite correspondent aux phonèmes de la langue parlée. Pour lire, l’enfant doit apprendre que les lettres qu’il découvre correspondent à des sons qu’il connait déjà (correspondances graphèmes-phonèmes). Pour écrire, il doit au contraire apprendre à transformer les sons des mots en lettres (correspondances phonèmes- graphèmes). La difficulté réside dans le fait qu’en français comme dans toutes les langues « opaques », les correspondances sont très imparfaites. Il y a de nombreuses manières d’écrire un même phonème et il y a des lettres qui ne se prononcent pas.

Principe alphabétique
Principe selon lequel les mots sont composés de lettres combinées entre elles. À partir d’une combinaison infinie des quelques lettres de l’alphabet, nous pouvons écrire une infinité de mots.

Code orthographique
Ensemble des règles sur la manière d’écrire les mots. Chaque langue possède son code, plus ou moins opaque ou transparent (comme l’italien). « Orthographe » s’écrit avec deux lettres « h » qui ne s’entendent pas. Arbitraire par définition, cette convention nécessite un apprentissage d’autant plus long que le code est opaque.

Inférence
Déduction, mise en relation, hypothèse permettant d’interpréter un texte et, donc, de le comprendre.

Langage et pensée : quel rapport ?

Qui dit lecture dit écriture. Les systèmes d’écriture exercent une influence clandestine sur notre vision du monde comme sur notre faculté de raisonner. Une mauvaise maitrise de la langue freinerait le développement de la pensée conceptuelle et de l’intelligence, ainsi que l’explique notamment le Dr Ghislaine Wettstein-Badour (1). On se souviendra peut-être que Chomsky et d’autres, naguère, établissaient une relation entre le langage et la pensée. Un manque de compétences en lecture génère-t-il des carences cognitives spécifiques, relatives à l’esprit d’analyse ou la faculté d’abstraction ? Quoi qu’il en soit, la forme écrite du langage constitue un code d’autant plus complexe que cette invention récente dans la phylogenèse (5 300 ans environ) n’est pas adaptée à nos vieux cerveaux de primates naturellement parlant, mais difficilement lisant ! (2)

É. G.

(1) Dans Apprentissage de la lecture. Le non-sens des pédagogies actuelles, consultable en ligne à l’adresse http://www.sauv.net/wettstein.php.
(2) Lire à ce sujet Les neurones de la lecture, de Dehaene (voir bibliographie).

Supports du langage : quelle influence ?

Dire que nous vivons dans une culture de l’écrit est banal (pour combien de temps ?). La réalité ne l’est pourtant pas. Le passage de l’oralité à l’écrit, que l’imprimerie de Gutenberg favorisa au milieu du XVe siècle, transforma radicalement notre culture occidentale. Ce passage de la logosphère à la graphosphère (1) coïncide avec l’entrée dans la Modernité, notamment caractérisée par un développement de l’individualisme et de la rationalité. Le passage à l’image virtuelle et à l’interactivité des médias électroniques va-t-il encore modifier en profondeur nos façons d’appréhender la réalité ? La lecture sur écran elle-même va-t-elle modifier nos façons mêmes de lire ?

É. G.

(1) Expressions qu’utilise Régis Debray dans Vie et mort de l’image, notamment.

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