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Magazine PROF n°26

 

Dossier Cours philosophiques : une réforme en vue

« Neutralité » ou « Bienveillance » ?

Article publié le 01 / 06 / 2015.

© Laurent de Briey

Dans son arrêt du 12 mars 2015, la Cour Constitutionnelle belge a estimé que tout élève pouvait, sur simple demande, être dispensé de l'obligation de choisir entre un cours d'une des religions reconnues en Belgique ou un cours de morale laïque. La Cour a ainsi mis une belle pagaille dans un dossier rendu déjà particulièrement sensible par le projet d’introduction d’un cours de citoyenneté lors de la rentrée 2016.

Force est de constater que cet arrêt a provoqué une regrettable crispation des positions et menace de réveiller une guerre scolaire qui n’émeut que les irréductibles de chaque camp. Il est tout de même ironique que tout le monde s’accorde sur l’importance du dialogue interconvictionnel, mais qu’un tel débat tourne au dialogue de sourds.

Plutôt que de vouloir s’accrocher à un compromis logiquement dépassé au bout d’un demi-siècle, ou de vouloir profiter de l’occasion pour régler de vieux comptes avec des religions sans se rendre compte qu’elles ne jouent plus du tout le même rôle qu’hier, partons plus tôt d’un double principe.

Oui, l’organisation actuelle des cours convictionnels dans l’enseignement officiel doit être revue. La volonté de permettre à chacun d’avoir accès à un cours propre à ses convictions pouvait être opportune dans une société partagée entre quelques grands courants convictionnels.

Elle se heurte par contre à des limites pragmatiques insurmontables dans une société où le pluralisme convictionnel s’est fortement accentué. Reconnaissons également que la présence de cours convictionnels dans des écoles, organisées ou subsidiées par l’État, devrait avoir comme corolaire un contrôle public du contenu des cours et des aptitudes pédagogiques des professeurs.

Mais admettons également qu’il serait malheureux de jeter le bébé avec l’eau du bain.

À l’heure où de nombreuses personnes au sein de la société sont en quête de sens, où d’autres trouvent auprès de discours intégristes une réponse à la marginalisation qu’ils subissent, les religions et les convictions philosophiques ont plus que jamais leur place dans le programme scolaire.

Et, soyons plus précis, un cours où l’on parlerait « sur les religions » plutôt qu’« à partir des religions » (1) n’est pas suffisant. Dans nos sociétés diverses, comprendre le phénomène religieux et convictionnel, connaitre les fondements des convictions des autres et maitriser les principes d’une organisation démocratique de la société sont des compétences absolument indispensables.

Mais le rôle de l’école ne se réduit pas à transmettre des connaissances. Sa finalité doit être de favoriser l’épanouissement personnel, en ce compris sur le plan existentiel. De plus, pour pouvoir comprendre les autres, encore faut-il parvenir à se construire soi-même.

Créer du vivre-ensemble ne signifie pas rendre possible la coexistence d’individus dotés de convictions claires et définitives, mais assurer la rencontre de personnes affinant constamment leurs convictions. Les convictions peuvent évoluer, a fortiori lorsqu’il s’agit d’enfants, notamment de très jeunes enfants. L’enjeu des cours convictionnels n’est dès lors pas de leur apprendre à taire leurs certitudes, mais bien à voir en l’autre celui qui, parce qu’il est différent, leur permet de se doter de convictions de plus en plus riches.

C’est pourquoi il faut éviter de transformer la neutralité en un nouveau dogme. Si la neutralité veut dire que le professeur ne peut pas faire du prosélytisme, que le contenu du cours ne peut se réduire à un simple catéchisme, je ne peux qu’être d’accord, mais j’ose espérer qu’aujourd’hui déjà la plupart des cours convictionnels et ceux qui les donnent font preuve d’une telle neutralité.

Si, par contre, la neutralité implique que les enseignants ne peuvent pas exprimer des convictions personnelles, je ne la crois pas souhaitable. Je lui préfère la bienveillance philosophique, c’est-à-dire la volonté de comprendre la pertinence du discours de l’autre, les raisons pour lesquelles il le tient, les questions auxquelles il essaie d’apporter une réponse, avant d’éventuellement exprimer son désaccord et les motifs de celui-ci. C’est cette bienveillance, non la neutralité, que je souhaite que mes enfants apprennent. Et comment pourraient-ils mieux le faire qu’en voyant leur professeur la mettre en pratique ?

Par conséquent, le cours qu’il nous faut repenser aujourd’hui doit premièrement apprendre à forger ses convictions sans les transformer en certitudes et, deuxièmement, mettre en dialogue des personnes qui témoignent de leur engagement, tout en étant prêtes à le remettre en cause en écoutant les autres.

L’importance respective de ces deux objectifs devrait sans doute évoluer dans le temps. Les premières années pourraient accorder plus d’attention à l’approfondissement d’une conviction particulière. Cela permettrait notamment de s’assurer que les élèves bénéficient d’un enseignement convictionnel qui ne soit pas fondamentaliste.

Toutefois, en raison des limites pragmatiques déjà évoquées, il ne sera possible pas possible d’offrir une palette de cours couvrant toutes les convictions présentes dans la société. Mais peut-être faut-il faire de nécessité vertu et rompre avec le mythe selon lequel les élèves adhèrent aux convictions du cours qu’ils suivent. D’ailleurs, si l’ensemble des élèves de l’enseignement catholique étaient des croyants convaincus, les églises ne seraient pas vides le dimanche matin…

Au fil des ans, le programme de ce cours devrait accorder de plus en plus d’importance à la citoyenneté et au dialogue interconvictionnel. Cela permettrait à chacun de relativiser les convictions héritées de son enfance, de faire l’apprentissage de la diversité et de construire progressivement, dans l’échange avec les autres, les convictions qui guideront son entrée dans l’âge adulte.

Mais, à mon sens, ce deuxième objectif doit bien être traité dans le cadre du même cours que le premier, idéalement en prévoyant des moments de rencontre entre les classes et des échanges de professeurs. Ce n’est pas en écoutant un discours neutre, mais en entendant un musulman parler de la richesse de la Torah juive, ou un catholique discuter avec un athée de l’apport de l’humanisme laïc, que les enfants apprendront la bienveillance et le vivre ensemble.

Laurent de Briey
Professeur de philosophie politique à l’UNamur et à l’UCL

(1) Selon l’expression – et le souhait – de mon collègue Jean Leclercq, coordinateur du récent ouvrage Morale et religion à l’école ? Changeons de paradigme, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2015.

 

En deux mots

Docteur en philosophie et titulaire d’un master en économie, Laurent de Briey est professeur de philosophie politique à l’Université de Namur, où il enseigne la philosophie morale, politique et de l'éthique de l'économie et des affaires à la Faculté de sciences économiques, politiques, sociales et de gestion.

Il est également professeur invité à l’Université catholique de Louvain, où il enseigne à la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication.

Ses recherches portent principalement sur la transformation du rôle de l’État provoquée par la mondialisation et sur les fondements philosophiques des clivages politiques.

De 2007 à 2011, il dirigea le Centre d’études politiques, économiques et sociales (Cepess) du cdH, dont il fut expert politique puis secrétaire politique de septembre 2013 à décembre 2014.