MAGAZINE PROF - DÉCRYPTAGE

 

 À la Une | DécryptagePartage | Reportage | Témoignage | Archives | S'abonner à l'infolettre

Mise en ligne le 27 octobre 2023

Le stress est-il (vraiment) délétère pour les apprentissages ?

De manière récurrente se pose la question de l’influence du stress sur les apprentissages. Arnaud Cachia, professeur en neurosciences cognitives, y a répondu lors d’une conférence organisée par l’ASBL Éducation et Famille, en collaboration avec l’UMons.

La confrontation à des petits stress répétés est bénéfique pour les apprentissages.
La confrontation à des petits stress répétés est bénéfique pour les apprentissages.
© FWB/PROF

Examens, stress et apprentissages font-ils bon ménage ? Le Pr Arnaud Cachia nous explique ce qu’il en est.

PROF : Le stress, bon ou mauvais? 
Arnaud Cachia : Rappelons ce qu’est le stress. Il s’agit de l’ensemble des processus physiologiques et psychologiques mis en œuvre pour s’adapter à un évènement. C’est un mécanisme d’adaptation en réponse à la menace de l’équilibre général. Le stress permet donc de s’adapter à une nouvelle situation. Dans certains cas, il est positif, dans d’autres négatif.

Aigu ou chronique

PROF : Qu'est-ce que la plasticité cérébrale? Quels sont les types de stress et leurs conséquences sont-elles semblables?

Il y a deux types de stress : aigu ou chronique. Le stress aigu est ponctuel : c’est celui qu’on ressent avant de présenter un travail devant la classe, d’être évalué (à l’écrit ou à l’oral). Ou quand on ne peut pas bouger, boire, faire pipi… C’est un stress intense, mais bref. Il n’entraine généralement pas de conséquences délétères sur les individus. On ne parle évidemment pas ici des traumas liés à la guerre ou à des évènements dramatiques. Ce stress est mobilisateur.

Ensuite, il y a le stress chronique, ressenti quand on subit une période stressante sur du long terme, de manière prolongée et répétée. Une moquerie peut « passer » mais lorsqu’elle est répétée, cela occasionne un stress chronique. Idem face à l’incertitude de ce qui va arriver, de ce vers quoi on va. Ce stress chronique occasionne très souvent des conséquences négatives, aux niveaux psychologique et physiologique. C’est un stress affaiblissant.

Quand un stress est modéré, il peut agir comme un stimulant, « challengeant ». Dans le cadre des apprentissages, le stress est plutôt positif : il permet de mobiliser ses ressources, d’être attentif et de partir en quelque sorte au combat. Il permet de mettre en place toutes ses ressources pour répondre à un problème donné. C’est donc le petit coup de pression par lequel donner le meilleur de soi-même.

Mais n’oublions pas qu’un même évènement est vécu et perçu différemment d’un individu à un autre, d’un âge à un autre et même d’un genre à un autre. Hommes et femmes n’ont pas la même sensibilité au stress. Et un même facteur de stress aura des conséquences différentes selon le moment de la journée, selon notre fatigue, notre faim,…

Ainsi pour un élève, aller au tableau lui fait perdre ses moyens, alors que pour un autre élève, c’est juste un léger stress et une stimulation.

La règle des 3 F

© FWB/PROF

Comment réagit-on face au stress?

On réagit selon la règle des 3F : Fright (peur), Fight (combat) et Flight (fuite). Cette règle des trois F est commune à tous les humains, à tous les animaux. Le comprendre permet à l’enseignant de mieux appréhender les réactions des élèves.

Ainsi, un élève très stressé peut l’exprimer par de la nervosité, par de l’agressivité ou en étant complètement en retrait. À ce stade, on ne sait pas encore pourquoi un individu va adopter tel ou tel comportement face à la situation de stress.

Lorsque le stress s’appuie sur le système hormonal pour réagir, de suite, le système nerveux autonome est activé en quelques secondes. Il prépare la réponse « Combat » ou « Fuite ». Le cerveau reçoit un shot d’adrénaline qui le stimule, le rend plus présent et lui donne de l’énergie pendant plus ou moins 1 heure 30.

Effets multiples

Lorsque le stress est activité par l’axe hypothalamique pituitaire surrénalien les effets sur le cerveau se font dans les 30 minutes après le stress. Le cortisol est produit, augmente le taux de glucose dans le sang, et aide à calmer l’état de stress.

Quels sont les effets physiologiques du stress?

Le stress, surtout chronique, a de multiples effets. Il joue sur le système endocrinien, le système gastro-intestinal, le système nerveux, le système reproductif féminin et les menstruations, le système reproductif masculin, le système musculo-squelettique, le système respiratoire, le système cardio-vasculaire.

© FWB/PROF

Et les effets psychologiques?

Face à un stress, on a un mécanisme d’adaptation. Une situation est beaucoup plus stressante la première fois qu’on y est exposé. La seconde fois, dans la même situation, on sera moins stressé. Au fur et à mesure, on s’y adapte et c’est normal. On a besoin de stress pour vivre et il a des effets moins importants à la longue parce qu’on s’adapte, mais certaines personnes ne parviennent pas à cet état d’homéostasie, d’équilibre.

Dans le cas où l’adaptation au stress ne se fait pas, on peut avoir des effets délétères comme la perte de confiance en soi, les troubles de l’humeur et/ou un système immunitaire affaibli. Car lorsqu’un haut taux de cortisol est présent pendant une longue période dans le sang, cela peut entrainer des modifications psychologiques et comportementales importantes.

Comment cela se traduit-il dans le cerveau?

Les effets se marquent dans le cortex préfrontal, siège des fonctions exécutives (zone de la réflexion, de l’organisation et planification d’une tâche) ; dans l’hippocampe, siège de la mémoire ; et dans l’amygdale, siège des émotions. On ne peut pas dissocier la psychologie et la physiologie.

Le stress a aussi des effets différents sur le cerveau selon l’âge car en fonction de l’âge, vous n’avez pas les mêmes régions du cerveau qui se développent. Le stress va avoir  un impact particulièrement important sur les régions en plein développement. Car ce sont des régions plastiques, qui peuvent être modifiées. En fonction de l’âge, le même type de stress va avoir des effets très différents.

Stress et mémoire

Le stress a-t-il un impact sur la mémorisation ?

En fonction du moment où le stress va avoir lieu dans le processus de mémorisation, on peut avoir des effets positifs ou négatifs.

Si l’enfant est dans un environnement très stressant (famille à problèmes par exemple), le moment de la mémorisation qu’est l’encodage sera de moins bonne qualité. De même si on a un stress au moment de la récupération (le moment où on fait appel à la mémoire pour récupérer les informations apprises), on perd ses moyens et la récupération est difficile. Comme l’enfant qui connait sa leçon à la maison mais ne sait plus rien une fois au tableau. Ou si au moment de la mise à jour on est très stressé, on a davantage de difficulté à mettre à jour les informations.

Mais il y a des moments où le stress modéré est pertinent dans les apprentissages. Juste avant ou après l’encodage, cela va le renforcer. C’est une des raisons qui fait que lorsque vous faites faire un contrôle ou un devoir à un élève, qui va générer un petit peu de stress, cela va encoder un petit peu plus les éléments à apprendre parce que le cerveau fonctionne sur ce principe : « Si j’ai une émotion importante pour un évènement, cela veut dire que cette situation est importante. Donc que je dois la mémoriser. Pour le bien comme pour le mal ».

Typiquement, lorsque l’élève passe au tableau, c’est à ce moment-là qu’il va bien encoder les questions qu’on va lui poser.

Il est faux de croire qu’on rend un service aux enfants en leur évitant tout stress.

Ainsi, des études indiquent les effets négatifs de cette surprotection des enfants. Il faudrait une petite dose de stress pour y être plus résistant. On parle bien entendu de petits stress et pas de maltraitance ni de trauma. Cette confrontation à des petits stress répétés est bénéfique pour les apprentissages. Dans le cadre du projet Human Connectome, il a été démontré que lorsque des élèves sont préparés et soumis à l’idée qu’ils allaient subir un stress comme un examen, leurs résultats étaient meilleurs que ceux qui n’y avaient pas été préparés et qui devant l’obstacle pensaient « Je n’y arriverai pas » car ils n’y avaient jamais été confrontés.

« Positiver » le stress pour mieux apprendre

Comment agir pour que le stress soit positif pour les apprentissages ?

Les enseignants peuvent apprendre aux élèves comment fonctionne le cerveau, comment on apprend. Ils peuvent également communiquer avec les chercheurs en témoignant de leurs réalités de terrain, en participant à des études et recherches menées au LaPsyDé par exemple. Même les enseignants belges peuvent s'y inscrire.

Ils doivent également rappeler les besoins physiologiques essentiels pour le bon fonctionnement du cerveau et l’amélioration des apprentissages, comme l’importance du sommeil, d’une alimentation variée, de bouger, des contacts sociaux.

Ils peuvent également adapter leurs pratiques pédagogiques en utilisant celles qui sont les plus compatibles avec la manière dont le cerveau fonctionne, comme la méthode syllabique pour l’apprentissage de la lecture, par exemple.

Ils peuvent encore mettre leurs élèves dans des situations stressantes mais positives comme lorsqu’ils travaillent en groupes, en pratiquant le théâtre, lors de la présentation de travaux, certains sports… Bref tout ce qui renforce le fonctionnement exécutif, les apprentissages et la gestion du stress.
 

 

Propos recueillis par Hedwige D'HOINE
 

1. Le Professeur en neurosciences Arnaud Cachia est rattaché à l’Institut de psychologie de l’université de Paris Cité. Il mène des recherches au Laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l'enfant (LaPsyDé), laboratoire CNRS localisé à la Sorbonne. Il réalise également des recherches en psychiatrie dans le domaine des troubles du développement cérébral associés aux troubles psychiatriques, à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris.

2. Telles que celles de G. Venard, V. Pina Brito, P. Eeckhout, G. Zimmermann, S. Van Petegem, Quand le parent veut trop bien faire : état de la littérature sur le phénomène de surprotection parentale, Psychologie Française, 10.1016/j.psfr. 2021.11.001, (2021). Ou SAFESORRY : projet de recherche financé par le Conseil européen de la recherche qui vise à comprendre la parentalité dans un monde social en mutation. 

 

Haut de page