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Mise en ligne le 08 septembre 2023

Cour de récréation : « Un espace sans risque n’existe pas et serait ennuyeux »

Panique à bord dès qu’un élève se met en danger dans la cour d’école. Mécontentement des parents lorsque leur progéniture se blesse. Et si la prise de risque était une bonne chose ?

© FWB/PROF

Le risque zéro n’existe pas. Pourtant, nombreuses sont les écoles qui le visent pour préserver les élèves de toute blessure. Et ainsi éviter la colère des parents. Les experts sont plus nuancés et s’accordent sur le fait que la prise de risque est un élément fondamental pour le développement des enfants.

Des cours plus vertes

Commençons par le commencement : pourquoi donner de l’importance aux activités extérieures ? « Elles permettent d’augmenter le temps d’activité physique ce qui a des effets bénéfiques sur la santé, le développement cognitif, les interactions sociales, la santé mentale et la connexion avec la nature », explique Boris Jidovtseff, professeur au département des sciences et de l’éducation à l’ULiège.

La connexion avec la nature est un point central dans l’aménagement des cours de récréation. Les enfants développent des connaissances et une confiance envers les espaces naturels. Cela favorise la biophilie et donc une attitude positive de la préservation de la nature. En revanche, un manque de connaissance et de contact peut amener à une biophobie.

La nature oui mais choisie avec précaution. Pour des raisons écologiques, il est recommandé de recourir seulement à des plantes indigènes. Pour des raisons de sécurité, il vaut mieux éviter certaines plantes toxiques que les enfants pourraient toucher ou ingérer.

Le jeu risqué

Boris Jidovtseff est un fervent défenseur du « jeu risqué ». Sa connotation négative en fait un terme effrayant car associé au danger. Voici la définition qu’il expose : le jeu risqué est un jeu physique exaltant dans lequel l’enfant prend des risques. Il s’engage dans une action incertaine avec la sensation d’être à la limite du contrôle. L’activité comporte un risque potentiel de blessure physique mais pas toujours. « Le jeu risqué est naturel et spontané chez l’enfant mais notre société a tendance à l’inhiber », regrette-t-il.

Les jeux risqués, mesurés et contrôlés, ont un effet anti-phobique grâce aux expériences vécues. Ils favorisent le développement moteur et physique, l’aptitude à évaluer les dangers et à adopter un comportement adéquat ainsi que le développement de la confiance en soi. « Les activités extérieures et le jeu risqué peuvent être considérés comme des moyens éducatifs efficaces afin de lutter à long terme contre la baisse d’activité physique et la déconnexion envers la nature », conclut Boris Jidovtseff.

Le tout c’est de trouver un équilibre. Les professionnels qui aménagent un espace doivent évaluer l’enjeu éducatif et la prise de risque. « La législation ne permet que les risques acceptables. La valeur ludique et les opportunités de jeux doivent se trouver en proportion du risque », explique Carine Renard, experte réglementation aire de jeux au sein du service règlementation du SPF Economie. Avant d’ajouter : « Un espace sans risque n’existe pas et serait ennuyeux ».

Le SPF Economie, qui a rédigé un guide pratique sur la sécurité des espaces naturels de jeu d’aventure, considère que « les risques d’étouffement, de coincement et de chute sur un sol non adapté à la hauteur de chute nécessitent une mise à l’arrêt de l’équipement car les lésions qui peuvent être occasionnées sont considérées comme graves, voire mortelles ». D’autres risques peuvent aussi être considérés comme graves.

Des contrôles sont mis en place, soit par initiative, soit à la suite d’un accident, d’un incident ou après une plainte. Généralement, ils donnent lieu à un rappel des obligations légales mais peuvent aller jusqu’à des sanctions.

Explorateurs

Si l’enfant prend des risques, c’est pour sortir de sa zone de confort et ainsi tester et repousser ses limites. Raison pour laquelle l’usage qu’il va faire d’une installation n’est pas toujours prévisible. L’exemple le plus frappant, c’est le toboggan. Inventé pour glisser dessus, les enfants adorent le détourner en l’escaladant. Par nature, ils sont des explorateurs curieux.

Une cour de récréation doit être bien équipée. Si elle est dépourvue d’installations, les enfants seront imaginatifs et créeront leurs propres jeux avec les moyens du bord. Par exemple, ils grimperont à un arbre ou s’agripperont à une grille. D’où l’importance de correctement aménager cet espace.

Dans son dossier Mômes en santé : la santé en collectivité pour les enfants de 3 à 18 ans, l’Office de la Naissance et de l’Enfance (ONE) insiste sur le fait que les activités susceptibles d’être dangereuses « puissent faire l’objet d’une surveillance renforcée de façon à prévenir d’éventuels accidents ». Il souligne l’importance d’identifier les sources de dangers afin de réfléchir aux moyens à mettre en place pour les prévenir. Ensuite, il est question d’inciter les enfants à devenir acteurs de leur propre sécurité. « Une bonne pratique est, par exemple, d’organiser en début de période, une visite de l’infrastructure et des terrains de jeux avec les enfants en observant les dangers potentiels et en fixant les règles ensemble pour éviter les accidents », suggère l’ONE.

En 2010, le conseiller pédagogique allemand Roger Prott écrivait ceci : « Dans l’hypothèse où la politique d’accueil s’efforcerait de parvenir au risque zéro, on créerait des structures où il ne se passe rien et où les enfants encourent le risque d’un développement limité. La sécurité consiste plutôt dans la manipulation habile des dangers et non dans l’évitement des risques ». Autrement dit, la sécurité est d’argent mais le risque est d’or.

Loïs DENIS
 

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