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Magazine PROF - Témoignage

 

 
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Mise en ligne le 02 janvier 2024

Lenny Pamart : "Le harcèlement ne sera pas réglé uniquement à l'école et par l'école"

En Fédération Wallonie-Bruxelles, un enfant sur trois serait impliqué dans une situation de harcèlement scolaire : victime, spectateur-complice ou responsable. En moyenne, 78% des écoles ont fixé dans leur contrat d’objectifs au moins un objectif spécifique en lien avec le bien-être et le climat scolaire, un des objectifs d’amélioration de la qualité du système scolaire fixé dans le cadre du Pacte.

Les coups font mal, mais les traces des mots sont indélébiles. Comment peut-on exiger que la violence baisse si on banalise celle des mots ?
Les coups font mal, mais les traces des mots sont indélébiles. Comment peut-on exiger que la violence baisse si on banalise celle des mots ?
© Sébastien Archimbaud

Glenn, Maëlle, Lucas, Tom, et tant d’autres, victimes du (cyber)harcèlement, défraient régulièrement l’actualité. Le prénom de Lenny Pamart aurait pu faire partie de cette longue liste de jeunes ayant posé le geste ultime du désespoir. Dans Arrêt demandé, il témoigne du harcèlement scolaire qu’il a subi au collège (secondaire inférieur).  Un récit court, brut, écrit à l’âge de 17 ans.

Aujourd’hui âgé de 28 ans, il est le président de l’ONG Campus Watch qu'il a fondée en 2013. Ses missions sont multiples : faire de la prévention dans les écoles autour des questions de harcèlement et d’amélioration du climat scolaire. Mais aussi du plaidoyer en alertant sur la situation du climat scolaire auprès des Nations Unies, par exemple. Chaque membre de l’ONG a une spécialisation. Lenny Pamart siège comme observateur au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies. Il a le droit de rédaction et de transmission de rapports. 

En mars 2024 sortira aux Éditions Chronique Sociale Diplomatie et droits des enfants - De Janusz Korczak aux Nations-Unies, de Jean-Pierre Pourtois, préfacé par Boris Cyrulnik et postfacé par Grégoire Borst auquel il a contribué avec Jean-François Horemans, Alain Schmidt et André Soutrenon. Ce livre est une succession d’histoires brèves et de fiches techniques pour un approfondissement collectif en classe, en activités parascolaires traitant des droits de l’enfant et de leur place dans les apprentissages et à l’école.

Lenny Pamart et son ONG siégeaient en novembre, à Genève, à la Convention spéciale des Nations Unies consacrée aux droits de l’enfant. Nous lui donnons la parole, cette parole qui a manqué à celles et ceux qui n’ont pas osé mettre des mots et tirer le signal d’alarme.

Arrêt demandé

PROF : À quoi correspondent les trois parties de votre livre Arrêt demandé ?

Lenny Pamart : La première partie décrit mon entrée au collège. Ce fut un moment difficile pour moi. Je m’attendais à ce que ce soit dur. Mais pas à ce point. J’étais intimidé par les autres élèves, qui étaient plus grands et plus forts que moi. J’étais également rejeté et harcelé à cause de mon bégaiement. 

La seconde partie concerne la période où j’ai déménagé et donc changé d’école. Une période où je commence à faire une force de ma différence, de mon bégaiement. Je commence à accepter des facettes de moi que je n’aime pas, comme le bégaiement. 

La troisième correspond à ma prise de conscience de moi-même. Je commence mon engagement contre le harcèlement. Je me présente comme délégué d’élèves. Je prends la parole, malgré le bégaiement, au service des autres.

Comment votre livre peut-il être utilisé par les enseignants ?
L’avantage de ce livre est qu’il est très court et ne comporte pas de grandes figures de style. 

Par exemple, il peut être utilisé comme étude de cas pour discuter du harcèlement à l'école. Les enseignants peuvent demander aux élèves de lire le livre, des passages du livre et de discuter des différentes façons dont j’ai été victime de harcèlement. Ils peuvent également demander aux élèves d'imaginer ce qu'ils auraient fait dans la même situation, comment ils auraient agi pour la changer.

Surtout, il peut être utilisé pour travailler sur l'effet témoin. C’est pour moi l’essentiel de travailler sur cet effet témoin. Car le harceleur a besoin d’une audience et c’est cette audience qui nourrit le harcèlement. Ainsi, les enseignants peuvent demander aux élèves de réfléchir à la façon dont ils auraient pu réagir s'ils avaient été témoins du harcèlement. « Vous êtes témoin de ceci, que faites-vous ? »

Le séisme du collège

Pourquoi l'entrée au collège est-elle souvent un moment particulièrement sensible et à surveiller dans le cas du harcèlement ?

Pour moi, l’entrée au collège est un séisme dans la vie d’un élève. En plus de tous les aspects liés à l’adolescence, se greffe ce moment particulier qu’est le passage du primaire au secondaire.

Les élèves sont confrontés à de grands changements et à des nouveaux défis : un nouvel environnement, des infrastructures plus grandes, plus d’élèves, de nouveaux codes. On passe d’un enseignant avec qui on avait noué des liens privilégiés, à qui parfois on pouvait faire des « câlins », à de multiples enseignants. 

En plus, on exige d’eux qu’ils soient « adaptés » en deux jours. C’est très cruel. On demande aux enfants des choses que l’on n’attend pas des adultes. Quand vous arrivez dans un nouvel emploi, on ne s’attend pas à ce que vous connaissiez immédiatement le nom de vos collègues ou que vous soyez opérationnel de suite. Alors qu’on l’exige des enfants.

Idéalement, il faudrait une période tampon entre le primaire et le secondaire en organisant par exemple des échanges réguliers lors de la dernière année de primaire, en instaurant un parrainage d’un élève du secondaire avec un élève du primaire…

Équation éducation bienveillante et harcèlement

Plus on prône une éducation bienveillante, plus le harcèlement augmente. Impression ou réalité ?

Je suis totalement pour une éducation bienveillante, mais en gardant la place et le rôle de l’autorité. Je ne parle pas de l’autoritarisme.

Ainsi, je trouve que donner oralement devant toute la classe les résultats d’une évaluation est très violent. Et j’y suis opposé. C’est comme lorsque votre boss vous fait des remarques devant vos collègues. Ce n’est ni gai ni facile à intégrer. Après, on n’est pas top, on va prendre un café, prendre l’air… Alors que les élèves doivent continuer comme si de rien n’était. Là, l’éducation bienveillante a tout son rôle. 

Par contre, il est indispensable que l’autorité et le respect de celle-ci reprenne sa place dans nos écoles. Il y a des règles à respecter. Trop souvent, je constate, quand je suis sur le terrain, le manque de respect de l’autorité des enseignants, par les parents. 

Par exemple, un enseignant convoque un parent pour l’informer que son enfant est un harceleur. Et le parent, au lieu d’appuyer et soutenir l’enseignant, se retourne contre lui. Comment un enfant peut-il respecter des règles si d’un côté le prof rappelle une règle et que de l’autre le parent lui dit le contraire ? 

De même,  il y a une banalisation des mots. Aujourd’hui, ce n’est plus grave de dire T’es con, d’injurier… Sous réserve de la liberté d’expression, on banalise et on laisse faire. Comment peut-on exiger que la violence baisse si on banalise celle des mots ?

C’est pour cela que la problématique du harcèlement est complexe. Car il s’agit d’une problématique globale. Qui concerne tout ce qui entoure le jeune. L’école, les copains, la famille, les clubs de sports, les mouvements de jeunesse, les lieux culturels. C’est un problème qui concerne toute la société. 

Des mots pour sauver

Dans votre témoignage, vous expliquez que vous avez manqué poser un geste désespéré et que trois mots de votre maman vous ont sauvé. Quelle est la place des mots dans le harcèlement ?

Les mots sont essentiels. Ils peuvent faire plus de mal que des coups car on les entend en écho et laissent des traces toute la vie.

Les mots sont aussi ceux qui sauvent. De simples mots qui indiquent que l’on fait attention à l’autre. Qu’on a pris le temps de l’observer et de le regarder. « Ça va ? Je vois que tu n’as pas l’air bien, tu veux en parler ? » sont essentiels. Car même si la personne ne répond pas, elle voit qu’on se soucie d’elle. Ces petites phrases peuvent sauver des vies. 

Mais aujourd’hui, on ne prend plus le temps d’observer et d’écouter les autres. Tout doit aller vite tout le temps. 

Ainsi, il y a quelques années, j’ai croisé une enseignante du collège où j’étais harcelé.  Je l’aimais beaucoup. Elle m’a dit ce jour-là : « Je voyais bien que cela n’allait pas. » Mais elle n’a rien dit ni fait à l’époque… Imaginez ce que cela m’a fait d’entendre cela !

En parlant de mots, avez-vous dit à vos parents que vous étiez harcelé ?

Non pas immédiatement. Si on a déménagé et que j’ai changé d’école c’est pour des raisons professionnelles de mes parents. Ils ont dû attendre la sortie du livre pour comprendre l’intégralité de ce qui m’était arrivé. C’est vrai que je regrette de n’avoir pas eu le courage de parler.

Climat et bien-être scolaire 

Comment faire pour éviter les situations de harcèlement ou les dégoupiller quand elles sont déjà là ?

Il y a de nombreuses techniques, mais je ne suis pas convaincu par celles provenant des pays scandinaves. Déjà parce que culturellement nous sommes très différents.

Ce que je conseillerais est d’avoir une politique de globalité. Le harcèlement ne sera pas réglé uniquement à l’école et par l’école. Déjà, il faut changer l’école en profondeur. C’est comme refaire la peinture du salon, mais ne pas régler le problème d’infiltration…

C’est pour cela que je suis très réticent aux programmes qui ne visent que le harcèlement à l’école. Il faut s’attaquer au climat scolaire dans sa globalité. Et surtout décharger les enseignants à qui on en demande déjà beaucoup.

Il faut que les actions menées soient globales. Qu’elles concernent tous les élèves, toutes les classes, tous les enseignants, tous les parents, pas une classe ponctuellement.

Le harcèlement est un problème de notre communauté et c’est toute notre communauté qui doit être mobilisée et pas un enseignant tout seul dans sa classe. Le problème est complexe et forcément la réponse sera complexe. C’est un problème de société qui ne pourra être solutionné que par la société. 

En France, au départ, les politiques voulaient mettre en place des états généraux du climat scolaire. Ensuite, ils ont changé d'avis pour se focaliser sur le harcèlement scolaire. C’est une erreur.

Il faut améliorer le climat et le bien-être scolaire et faire de l’école un lieu sain et positif. 

Convention des Droits de l’enfant et harcèlement

Pouvez-vous nous en dire plus sur le protocole d’accord facultatif  que vous avez proposé aux Nations Unies fin novembre ?

On ne peut modifier la Convention des Droits de l’enfant. Pourtant celle-ci ne traite pas de nombreux sujets d’aujourd’hui comme les questions du numérique. Donc, les Nations Unies adoptent des protocoles facultatifs qui concernent des problèmes d’aujourd’hui. Il y en a deux actuellement. 

  • Le Protocole facultatif à la Convention concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, adopté en 2000
  • Le Protocole facultatif à la Convention concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, adopté en 2000.

J’ai été chargé, avec Campus Watch, de rédiger un protocole facultatif à proposer aux Nations Unies. Celui-ci concernerait l’école.

Fin novembre, nous avons réuni pendant deux jours des enfants venant de France, des associations de toute l’Europe dont Les Mots de Tom qui est une association belge qui lutte contre le (cyber)harcèlement.

Nous nous sommes mis autour de la table pour réfléchir à Qu’est-ce qu’une école positive ? et nous avons mis l’accent sur le harcèlement et la violence. Le texte que nous avons rédigé est proposé aux états membres des Nations Unies pour qu’un protocole facultatif concernant l’école soit joint à la convention des Droits de l’enfant.

Nous sommes une génération qui n’a pas d’autre choix que de s'engager. Il  y a tellement de choses qui ne vont pas ! Je pense que toutes les personnes marquées par des expériences de vie difficiles peuvent améliorer les choses en témoignant, en apportant leur pierre pour construire des ponts et non des murs. 
 

Propos recueillis par Hedwige D'HOINE
 

Des actions structurées et durables

Dans le cadre du Pacte pour un Enseignement d'excellence, un travail de fond a été réalisé pour offrir aux écoles des moyens pour mener des actions structurées, cohérentes et durables, afin d'améliorer le climat scolaire et le bien-être des élèves.

Le (cyber)harcèlement scolaire est un problème majeur qui affecte de nombreux élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles. Selon une étude réalisée en 2022 par le Centre pour l'égalité des chances et la lutte contre le racisme (CECLR), 12,3 % des élèves de 11 à 15 ans ont déclaré avoir été victimes de (cyber)harcèlement au cours de l'année scolaire précédente.

Pour prendre cette problématique à bras le corps, le Pacte pour un Enseignement d'excellence prévoit un budget de 2,64 millions d'euros pour financer, soutenir et concrétiser des projets pour lutter contre le (cyber)harcèlement scolaire.

Les actions menées

Dès la rentrée scolaire 2023-2024, 200 écoles ont pu bénéficier de ces soutiens en s'engageant dans la réalisation d'un programme souple, respectueux de la liberté pédagogique des écoles, pour répondre durablement au phénomène de (cyber)harcèlement scolaire et pour améliorer le climat scolaire.

Ce programme-cadre comprend un ensemble d'actions à mener, telles que:

  • La sensibilisation des élèves, des parents et des enseignants aux risques du (cyber)harcèlement scolaire
  • La mise en place de procédures de signalement et de traitement des cas de (cyber)harcèlement
  • Le développement d'outils et de ressources pour prévenir et lutter contre le (cyber)harcèlement

Les écoles participantes sont accompagnées pour l'élaboration et la mise en œuvre de leur programme-cadre par des opérateurs agréés.

Perspectives

Dès la rentrée scolaire 2024-2025, une nouvelle vague d'écoles pourra entamer la réalisation d’un programme-cadre en matière de climat scolaire et de lutte contre le harcèlement.

A l’échelle du système scolaire, le premier rapport d’évaluation des objectifs systémique, dont celui relatif au climat scolaire et au bien-être, sera publié au printemps 2024. Ce rapport permettra un premier diagnostic établi sur la base d’enquêtes auprès des parents, des élèves, des enseignants des directions.

D'autres actions seront également menées et développées à l'avenir afin d'améliorer le climat scolaire et prévenir les situations de (cyber)harcèlement scolaire. 

Ces actions peuvent inclure :

  • Le renforcement de la formation des enseignants à la prévention et à la gestion du (cyber)harcèlement scolaire
  • Le développement de partenariats avec les autorités locales et les associations de terrain
  • La sensibilisation du grand public aux risques du (cyber)harcèlement scolaire
  • La publication d’outils à destination des écoles sur base des résultats de l’enquête systémique et multidimensionnelle relative au bien-être à l’école et au climat scolaire

Les actions menées dans le cadre du Pacte pour un Enseignement d'excellence constituent une réponse importante au problème du (cyber)harcèlement scolaire. Elles visent à sensibiliser élèves, parents et enseignants aux risques du (cyber)harcèlement ; à mettre en place des procédures de signalement et de traitement des cas de (cyber)harcèlement ; et à développer des outils et des ressources pour prévenir et lutter contre le (cyber)harcèlement.

Plus d’informations concernant cette nouvelle politique structurelle via les sites Pacte pour un Enseignement d'excellence et enseignement.be.

 

Hedwige D'Hoine


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