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Magazine PROF n°36

 

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Philippe Meirieu: "L'école doit s'assumer comme un espace de décélération"

Article publié le 11 / 12 / 2017.

Philippe Meirieu était à Liège et à Charleroi à l’invitation du Collectif des écoles en développement durable (http://cedd.be/). Il invite les enseignants à «perdre du temps pour en gagner» et estime que «l’évaluation, sous sa forme actuelle, est laxiste».

Profitant de son passage en Belgique, nous avons demandé à Philippe Meirieu son point de vue sur la différenciation, le choc entre le temps long de l’apprentissage et l’immédiateté, et la place de l’évaluation. Voici l’intégralité de l’interview dont l’essentiel a été publié dans notre numéro de décembre 2017.

1. Hétérogénéité et différenciation

Philippe Meirieu : Il faut se dégager d’une vision maximaliste et mécaniste de la différenciation pédagogique. Nous avons trop longtemps considéré qu’elle consistait à proposer à chaque élève un plan de travail individuel strictement adapté à ses « besoins » et à son « profil ». Une telle conception est impossible et dangereuse.

Impossible eu égard au travail que cela demanderait. Dangereuse parce que nous nous acheminerions vers une pédagogie strictement individualisée au détriment du collectif. À trop vouloir s’adapter à l’élève, on oublie parfois qu’il s’enrichit en s’essayant à des méthodes et connaissances nouvelles qu’il n’aurait pas nécessairement découvertes spontanément.

Philippe Meirieu : « L’école n’enseigne pas seulement des savoirs, elle enseigne l’exigence de précision de justesse et de vérité, qui est la condition pour que les savoirs soient assimilés au meilleur niveau ».
Philippe Meirieu : « L’école n’enseigne pas seulement des savoirs, elle enseigne l’exigence de précision de justesse et de vérité, qui est la condition pour que les savoirs soient assimilés au meilleur niveau ».

Dans un livre célèbre, L’école sur mesure, paru en 1921, Edouard Claparède, opposant le tailleur ou le chausseur à l’école, écrit que « l’école habille, chausse, coiffe tous les esprits de la même façon » et estime en substance que nous avons plus d’égards pour les pieds de nos élèves que pour leurs cerveaux… Et il en déduit la nécessité d’une individualisation de l’enseignement à partir d’une meilleure connaissance des « profils » et des « besoins » de chacun de no élèves.

Je pense nécessaire, comme Claparède, que, pour une part, l’école soit « sur mesure ». Mais, pour une autre part, l’enfant doit se mesurer à l’école et à ses exigences. L’école est une institution. L’enfant doit découvrir que, s’il a ses spécificités, des difficultés particulières et une personnalité singulière, il est aussi un parmi les autres et doit s’intégrer dans un collectif.

PROF: Vouloir un tronc commun, n’est-ce pas contradictoire avec la gestion de l’hétérogénéité ?

Il me semble que c’est un autre sujet.

La même chose pour tout le monde, c’est quand même un peu ça…

En termes d’objectifs, oui, mais pas en termes de méthode. On peut avoir un objectif commun sans avoir la même méthode pour toutes et tous. Il y a une conception de la pédagogie différenciée que je trouve excessive, mécaniste et dangereuse. Mais il ne faudrait pas en revenir, au nom de ce danger, à une conception de la classe toujours en collectif frontal avec des élèves censés tous comprendre la même chose en même temps et faire les mêmes exercices individuellement au même rythme.

C’est une illusion, d’autant plus grave qu’elle est génératrice d’un mouvement d’externalisation des difficultés en dehors de l’école et de la classe. Plus on veut une classe homogène, plus on veut que ceux qui ne rentrent pas dans le moule soient détectés et renvoyés ailleurs, vers des prises en charge spécialisées, et qui d’ailleurs sont de plus en plus privatisées et médicalisées.

Alors entre une pédagogie différenciée strictement individuelle et une pédagogie frontale exclusivement collective et homogène, il y a me semble-t-il une voie qui n’est pas une voie moyenne mais une voie raisonnable qui me parait pouvoir s’articuler autour de trois principes simples.

Premier principe : celui de la diversité pédagogique. Que l’enseignant s’astreigne à ne pas utiliser toujours la même méthode, qu’il varie ses supports, ses modes de regroupements, ses types de travail. C’est-à-dire qu’il multiple le type d’exercices et qu’il étoffe sa palette méthodologique. Parce qu’alors il aura d’autant plus de chance de permettre à ses élèves de trouver ce qui convient à chacun d'eux, et, en même temps, de découvrir des méthodes, des supports ou des manières de travailler que ces mêmes élèves n’avaient pas encore découverts et dont ils vont percevoir les richesses.

Deuxième idée forte : l’entraide, y compris entre des élèves de classes et de niveaux différents. Je pense que nous sous-estimons considérablement, en particulier chez les enfants et les adolescents, l’effet extrêmement positif que peut avoir l’entraide, le fait que des plus âgés aident et accompagnent des élèves plus petits, que des élèves un peu plus en avance aident des élèves un peu plus en difficulté… L’entraide a un effet absolument essentiel, or les systèmes éducatifs occidentaux ont tendance à penser que quand deux élèves communiquent entre eux, c’est qu’ils complotent contre le maitre !

C’est un dispositif très largement utilisé par des dispositifs extrascolaires…

Oui, mais pas utilisé de façon suffisamment systématique. Et de manière très différencée : les filles l’utilisent beaucoup plus que les garçons ; elles n’hésitent pas à parler entre elles de leurs difficultés, à s’expliquer réciproquement tel ou tel point du cours, alorsque, pour les garçons, l’intérêt mannifeste pour le travail sciolaire est souvent perçu comme une forme de renoncement, d’assujettissement, voire de déni de leur virilité.

Souvenons-nous que, dans la période de socialisation secondaire, l’enfant sort du « je » et de la fréquentation de la famille proche. Il a besoin de découvrir un autre type de relations, avec des amis, dans une activité en dehors du cercle familial. Il s’agit de s’appuyer au maximum sur l’entraide pour créer cette socialisation secondaire à l’intérieur de la classe, et centrée sur le travail. Si l’école n’offre pas à l’élève des occasions de socialisation secondaire autour du travail scolaire, il ira trouver ces occasions dans des pratiques parfois bénéfiques (sport, chorale,…) mais parfois dangereuses, voire mortifères.

Le troisième principe, c’est ce que nous appelons la métacognition : aider les élèves, par une interrogation assez systématique, à comprendre comment ils apprennent, pour qu’ils deviennent les pilotes de leur différenciation. Progressivement, c’est à l’élève de comprendre comment il apprend et à se fabriquer des stratégies d’apprentissage.

Cela nécessite que l’enseignant interroge l’élève, la classe. Qu’est-ce qu’on a fait ? Qu’est-ce qu’on a appris ? Comment a-t-on appris ? Et qu’il soit attentif à la différence entre faire et apprendre. Beaucoup de recherches montrent que ce qui caractérise les élèves en difficulté, c’est qu’ils croient avoir rempli leur contrat scolaire quand ils ont fait leur travail. Alors que ce qu’il leur est demandé, ce n’est pas seulement de faire, mais de comprendre ! Il est important de ne pas poser seulement à l'élève la question Qu’est-ce que tu as fait ?, mais de lui demander Qu’est-ce que tu as compris ?, Comment l’as-tu compris ?

Donner à l’élève, et à tous les élèves de la classe, du temps pour réfléchir à ces questions-là, éventuellement avoir des outils où on va exprimer ces découvertes, tout cela va favoriser l’autonomie des élèves, leur capacité à progressivement travailler de la manière qui sera plus efficaces pour eux.

2. Temps long versus immédiateté

Comment favoriser le temps long à une époque où les élèves sont baignés dans l’immédiateté ?

Ça suppose que l’école s’assume comme un espace de décélération, de sursis à l’immédiateté, un espace où l’on apprend à réfléchir, à penser, à se documenter.

Elle ne l’assume pas ?

Je pense qu’elle l’assume mal, souvent d’ailleurs à l’insu des maitres. Je vais très souvent dans des classes et j’observe que quand les enseignants posent des questions à la classe, dans l’immense majorité des cas, ils donnent la parole au premier élève qui lève le doigt et qui en général connait la réponse. Et une fois que ce bon élève a donné la réponse, il passe à la question suivante.

Si on relit ne serait-ce que de vieux textes comme le Dictionnaire de pédagogie, de Ferdinand Buisson (NDLR : paru en 1887 et dont une version allégée vient d’être republiée dans la collection « Bouquins »), on y trouve ce conseil fondamental : quand vous posez une question, laissez quelques minutes la classe en silence pour que tout le monde puisse réfléchir à la question ; demandez ensuite aux élèves de discuter entre eux de la réponse ; et puis interrogez un élève, mais pas forcément celui dont vous savez qu’il connait la réponse.

On revient à la notion d’entraide…

Absolument. L’entraide est une nécessité absolue, qui est d’ailleurs confirmée par les travaux des neuroscientifiques sur la construction de l’intelligence. Ils évoquent la nécessité d’une phase d’inhibition de la réponse spontanée pour construire une réponse différée(1). Il va falloir qu’on suspende en quelque sorte sa réponse immédiate pour engager l’élève dans un débat intérieur avec lui-même… Ce sursis, ça veut dire qu’on va poser des questions, qu’on va aider l’élève à déconstruire des fausses réponses, qu’on va l’amener à se documenter, à expérimenter, et que c’est à partir de là que l’élève va mettre en route son intelligence et qu’il va apprendre à comprendre, ce qui est le plus important.

Oui, mais il y a la pression du programme !

C’est sûr. J’entends cette objection. Mais là-dessus, Rousseau nous avait déjà donné la clé : l’éducation, c’est perdre du temps pour en gagner ! Un élève qui apprend à comprendre, qui se méfie de sa réponse immédiate pour réfléchir et mener une petite controverse intérieure, pour s’imaginer les objections à ses propres opinions est un élève qui va progresser dans la construction de son intelligence beaucoup plus rapidement qu’un autre. Et donc avec lequel progressivement on pourra travailler de plus en plus vite. Il faut accepter cette perte du temps parce qu’elle est nécessaire à la construction de l’intelligence.

Mais il y a la pression des collègues et de l'institution…

Effectivement... Il y a une pression intérieure aussi. Je connais des collègues qui, quand ils demandent à des élèves de réfléchir personnellement ou d’échanger entre eux, ont le sentiment de ne pas remplir leur contrat ; que ce qu’on attend d’eux, c’est d’expliquer en permanence, et pas de faire travailler les élèves mentalement. Il y a une sorte de culpabilisation des enseignants quand ils prennent ce temps nécessaire. Or, on ne dira jamais assez à quel point la formation d’un élève, c’est d’abord la formation de son intelligence. Les disciplines scolaires, ce sont des savoirs, certainement nécessaires, mais leur apprentissage nécessite qu'on forme, avec elles et par elles, les élèves à la réflexivité.

Diriez-vous que c’est encore plus nécessaire aujourd’hui que les savoirs sont partout et plus seulement « chez » l’enseignant ?

Oui, bien sûr ! C’est encore plus nécessaire aujourd’hui, à la fois parce qu’il y a cette multiplicité de sources d’informations, mais aussi parce que nous vivons dans une société de l’immédiateté, où les prothèses technologiques dont disposent les adultes comme les enfants leur donnent le sentiment qu’ils peuvent avoir « tout-tout de suite » et gérer leur vie sans jamais prendre le temps de la réflexion.

C’est d’autant plus nécessaire aujourd’hui que ce qu’on pourrait appeler la machinerie publicitaire joue massivement sur ce caractère pulsionnel chez l’enfant, lui sussurant en permanence à l'oreille : Fais ton caprice, ça fera marcher le commerce ! Demande, exige… Dans un monde où plus on va vite plus on a raison – c’est le principe des informations « virales », dans un monde où le caprice fait la loi, l’éducation a d’autant plus besoin de dire : Attendons un peu, prenons le temps de réfléchir ensemble…

Car nos élèves, quand ils arrivent en classe, ont des idées sur tout... Des idées qui, dans l’immense majorité des cas, sont approximatives, et parfois même complètement fausses. Il ne suffit pas de leur dire Vos idées sont fausses. Il faut les mettre dans des situations de réflexivité pour qu’ils puissent découvrir eux-mêmes comment un débat intérieur intérieur – ce que nous nommons un « conflit socio-cognitif » – peut les amener à être plus exigeants, plus précis, plus proches de la vérité.

"Si on relit de vieux textes comme le 'Dictionnaire de pédagogie' de Ferdinand Buisson, on y trouve ce conseil fondamental : quand vous posez une question, laissez quelques minutes la classe en silence pour que tout le monde puisse y réfléchir.

Car l’école n’enseigne pas seulement des savoirs, elle enseigne l’exigence de précision de justesse et de vérité, qui est la condition pour que les savoirs soient assimilés au meilleur niveau. Un élève qui n’a pas intégré cela ne pourra poursuivre ses études que que de manière très chaotique, parce qu’il sera en permanence dans l’approximation et finira sans doute, malgré son habileté stratégique – qui lui permet de décoder les attentes du maître et de fournir la bonne réponse sans en comprendre le sens – par basculer dans l'échec.

Finalement, ce que vous souhaitez, c’est que les enseignants soient des résistants ?

Oui, nous devons résister à un mouvement d’individualisation systématique et de concurrence acharnée, Résistance qui doit se manifester par la construction du collectif et la promotion de l’entraide. Résistance aussi à l’immédiateté qui doit se manifester par le fait de prendre le temps de réfléchir et de débattre entre soi et à l’intérieur de soi. Et résistance, enfin, par rapport à la conception très largement répandue que plus on assimile vite, plus on a des chances de réussir. Ce n’est pas vrai ! Plus on assimile en profondeur, plus on a des chances de réussir…

3. La place de l’évaluation

Cette question de la résistance me permet d’aborder avec vous cette tendance lourde à promouvoir l’autonomie des acteurs de l’enseignement et leur responsabilisation, qu’on limite parfois aux résultats scolaires des élèves…  Car, vous demandez de « prendre le temps », mais il y a les évaluations, les comptes à rendre…

Il est clair qu’on met les enseignants dans un système de double contrainte : on leur demande simultanément de former des citoyens et d’avoir des élèves les plus proches d’un prototype répondant à 100% aux tests PISA. C’est une injonction contradictoire, et je suis de ceux qui s’inquiètent d’une hégémonie absolue de l’évaluation quand celle-ci vient paralyser la démarche d’apprentissage, et quand elle intervient en permanence en lieu et place de ce qui devrait être le quotidien de chaque instant d’un enseignant, à savoir la régulation des apprentissages. On confond l’évaluation et la régulation.

Et je pense que l’évaluation, sous sa forme actuelle, est laxiste. Même si on remet beaucoup de notes, beaucoup de bulletins, il est extrêmement rare qu’on amène un élève à refaire un travail pour le perfectionner. Quand un artisan n’a pas fini ou a saboté sa pièce, il se remet au travail. Quand un élève a bâclé son devoir, on lui met une mauvaise note et il s’en va. On ne lui demande pas de remettre son travail sur le métier et de progresser.

Donnez moins de travaux mais exigez plus de chacun d’entre eux ! Donnez une première évaluation, assortie de conseils, et ensuite exigez qu’il remette en chantier le travail. Mais ça nécessite encore une fois de donner des travaux qui s’étendent sur la durée, et qui aient du sens. Des travaux dont on sera fier parce qu’on se sera dépassé !

La véritable évaluation n’a pas pour fonction, en effet, de mesurer  ou de sanctionner un niveau, mais de dire à un enfant : Voilà comment tu pourrais faire mieux. Je trouve que la manière dont on évalue trop souvent dans nos écoles – en sanctionnant un niveau sans refaire travailler l’élève –  est une forme de démission par rapport à l’exigence intellectuelle que nous devons avoir. Il faudrait que les parents et toute la société acceptent qu’il y ait moins de notes, moins de travaux, mais de plus longue haleine, plus approfondis et améliorés jusqu’à ce que l’élève ait compris comment il pourrait faire mieux…

Avez-vous vu un tel modèle à l’œuvre ?

Oui, bien sûr. Davantage dans le primaire que dans le secondaire, mais j’ai vu des professeurs de lettres faire reprendre des textes jusqu’à ce qu’ils soient publiables dans la revue du collège ou dans un recueil de nouvelles, faire retravailler pendant tout un trimestre des nouvelles de cinq à six pages jusqu’à ce qu’elles soient publiables. Et considérer que c’était là le passeport pour accéder au niveau supérieur. J’ai vu des professeurs de physique poser des problèmes très complexes et engager ses élèves dans des démarches de documentation et d’expérimentation jusqu’à produire des expériences abouties.J’ai vu, dans bien des classes, se mettre en place cette belle maxime d’Albert Jacquard : « L’important n’est pas d’être meilleur que les autres, c’est de devenir meilleur que soi-même ».

Propos recueillis par
Didier CATTEAU

(1) Lire à ce sujet notre dossier « Neurosciences et éducation », http://www.enseignement.be/index.php?page=27203&id=1803

Conseils aux enseignants d'aujourd'hui

Voici quelques conseils de Philippe Meirieu aux enseignants, en marge de l’interview qu’il nous a accordée à propos de la différenciation, du choc entre l'immédiateté des réactions pulsionnelles et le temps long de l’apprentissage, ainsi que de la place de l’évaluation.

Philippe Meirieu: Prenez votre temps, faites réfléchir et travailler vos élèves en classe, sous vos yeux. Faites-les retravailler jusqu’à ce qu’ils améliorent leurs performances et leur niveau. Ne craignez pas que cela les handicape pour l’avenir : au contraire, cela va leur donner de formidables atouts pour la poursuite de leurs études.

Ne négligez pas, non plus, les questions techniques. Sur la manière de donner des consignes en classe, qui doit être la plus précise possible. Sur le phénomène de l’attention : que les professeurs comprennent qu’ils ont en face d’eux des élèves qui ont du mal à être attentifs. Il est nécessaire aujourd’hui de créer des dispositifs attentionnels : il ne suffit pas de claquer dans ses doigts pour qu’à la minute où l’élève rentre de la récréation il soit disponible. Il ne suffit pas de rappeler à l’ordre l’élève dissipé. Il y a tout un travail autour de la construction de l’attention. Un travail collectif qui structure toute institution, du théâtre au tribunal, du repas entre amis à la pratique du judo. Ne soyons pas naïfs : il ne suffit pas de dire « Chut » pour que l’attention advienne ».

« Organiser le travail, pas la discipline »

Aux collègues qui s’inquiètent des questions de discipline et en font parfois des cauchemars la nuit, je dis toujours : « Organiser le travail, pas la discipline ». Et organiser le travail, ça veut dire préparer minutieusement sa classe avant, mettre ses consignes au tableau, se demander ce que les élèves doivent avoir sur leur table. Prenez le travail scolaire comme un artisan prend son travail quotidien, en étant très attentif à ces aspects apparemment anecdotiques et matériels que sont les consignes, les outils de travail, la rigueur et la précision dans la parole.

Et puis, arrêtons de demander aux élèves de se taire sans jamais nous taire nous-mêmes ! Quand je passe dans un couloir de collège ou de lycée, j’entends parfois des collègues qui font « chut-chut-chut », sans cesse, mais n’attendent jamais qu’il y ait du silence pour continuer à parler et reprendre calmement une consigne ou une explication. Ils envoient ainsi deux messages contradictoires : « Taisez-vous, mais ça n’a aucune importance si vous ne vous taisez pas puisque je continue de toutes façons »…

Ce sont des choses extrêmement banales, élémentaires, mais complètement structurantes.

« Ne restez pas seul »

Et puis je leur dirais enfin : « Ne restez pas seul dans votre classe avec vos problèmes. Parlez-en avec vos collègues, et quand vous vous réunissez, ne le faites pas seulement pour remplir des agendas, mais aussi pour vous expliquer réciproquement comment vous faites pour surmonter une difficulté. Échangez, sortez de votre posture de profession libérale exercée individuellement chacun dans votre coin. Allez voir ou invitez vos collègues dans vos classes et puis discutez de ce que vous avez vu et fait. Devenez des professionnels qui ne sont pas repliés sur leur territoire mais qui s’investissent d’une manière collective, qui sont solidaires, qui ne considèrent pas qu’une difficulté est une honte, mais qui voient, au contraire, qu’elle est une chance. »

Car les difficultés sont des opportunités pour progresser. Trop souvent les enseignants pensent que les difficultés sont des réalités honteuses qu’il leur faut cacher. On pourrait étendre cette remarque aux parents d’ailleurs.

Si nous étions davantage capables d’échanger sur nos problèmes concrets, nous progresserions dans notre relation aux enfants en étant moins angoissés, moins tendus, moins stressés..., ce qui ne pourrait que profiter aux enfants et à nos classes.

Propos recueillis par
Didier CATTEAU

En deux mots

Né en 1949 dans le sud de la France, Philippe Meirieu milite très tôt dans des mouvements d'Éducation populaire. Après des études de philosophie et lettres, il obtient obtenu un CAP d'instituteur, et devient successivement professeur de français en collège et de philosophie en terminale.

Il devient ensuite directeur de l'Institut des sciences et pratique de l'éducation et de la formation de l'Université Lumière-Lyon2, de l'Institut national de recherche pédagogique, puis de l'Institut universitaire de formation des maitres de l'Académie de Lyon. Et cela en conservant des charges d'enseignement auprès d'élèves et d'étudiants. Il est aujourd'hui professeur des universités émérite en sciences de l'éducation.

Parmi d’autres multiples interventions (à découvrir via http://www.meirieu.com), Philippe Meirieu a accompagné la gestation de la revue Appren-tissages, destinée à toute personne intéressée par l’éducation et la transmission, dont le premier numéro vient de paraitre (https://revue-apprentissages.com).

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