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Magazine PROF n°36

 

Droit de regard 

« Je suis plus proche d’un Belge athée
que d’un Indonésien musulman »

Article publié le 11 / 12 / 2017.

Ismaël Saidi, l’auteur de la pièce Djihad, en est convaincu : pour reconnecter les adolescents, il faut tracer un trait d’union entre la culture européenne et leur culture d’origine.

Dans la foulée de son spectacle Djihad, Ismaël Saidi a rencontré des milliers de jeunes. Son nouveau spectacle Géhenne a le vent en poupe. Et dans « Les aventures du petit Ismaël : à l'école du vivre-ensemble », il raconte ses souvenirs d’enfance.

Ismaël Saidi : « Le point commun entre entre les auteurs des attentats, c’est surtout un déficit d’éducation ».
Ismaël Saidi : « Le point commun entre entre les auteurs des attentats, c’est surtout un déficit d’éducation ».
© Lea Crespi

PROF : Quels sont vos souvenirs d’écolier d’origine étrangère ?
Ismaël Saidi : Dans Les aventures du petit Ismaël, j’ai écrit de courtes histoires qui parlent aux enfants : Le Père Noël est-il raciste, me donnera-t-il un cadeau à Noël ? Quelle est la religion des lapins morts et selon quel rite faut-il les ensevelir ? Je parle de la différence, mais aussi des points communs. De cette enfance, je garde cette image-là…

Ce livre est vendu à prix réduit. Pourquoi ?
C’est une volonté de l’éditeur à laquelle j’adhère. Cela rend le livre bien plus accessible pour les enfants et les enseignants. Il s’agit surtout de transmettre quelque chose aux jeunes et qu’ils y prennent du plaisir. Tant pis si cela ne me rapporte rien. J’ai la chance d’avoir fait de ma passion un métier. Mes spectacles tournent bien en Belgique et en France. Par ailleurs, je suis très fier, en tant que petit Schaerbeekois, d’être lu dans plusieurs villes de France, de Navarre et de Belgique.

La différence vous a-t-elle fait vivre des difficultés à l’école ?
Cela aurait sans doute été plus sexy, mais la réponse est non. Et, parmi les personnes d’origine étrangère, nous sommes légion à ne pas les avoir vécues. Je le dois beaucoup aux institutrices et aux enseignants du secondaire ; je pense notamment à un professeur de latin qui venait me chercher à la maison pour m’emmener au théâtre sans que rien ne l’y oblige. Né à Saint-Josse, j’ai grandi à Schaerbeek, je suis allé à l’école catholique pendant dix ans ; nous allions à l’église le mercredi où nous chantions L’enfant au tambour, dans la version de Nana Mouskouri… Cela ne me dérangeait pas et cela a contribué à faire de moi un Belge musulman de culture judéo-chrétienne. Je me sens plus proche, aujourd’hui, d’un Belge athée que d’un indonésien musulman !

Les choses vous paraissent-elles différentes, plus difficiles aujourd’hui après les attentats à Paris, à Bruxelles ?
Franchement, je n’ai pas ressenti une grande stigmatisation. De la peur - bien compréhensible évidemment -, mais pas de réactions extrêmes. Surtout une volonté de comprendre. C’était le cas par exemple lorsque j’ai joué Djihad devant les familles de victimes de l’attentat au Bataclan.

Je ne crois pas que la stigmatisation l’emporte. À Saint-Josse, considéré par certains comme l’antre du terrorisme, on a mis les moyens et les choses changent, des projets concrets se mettent en place.

Et, de façon plus spécifique, dans les écoles de Belgique, de France, du Canada…, j’ai surtout vu des enseignants « perdus », livrés à eux-mêmes, manquant de ressources face aux questions, aux réactions. Et c’est là que le bât blesse : il faudrait donner bien davantage de moyens à l’enseignement pour recoudre le tissu social. Des moyens humains pour décharger les enseignants de tâches administratives, pour gérer des groupes moins nombreux, pour avoir davantage de formation en cours de carrière, pour revaloriser leur métier. Des moyens pour permettre aux élèves d’accéder à la culture, à des voyages qui créent des citoyens ! Le point commun entre les auteurs des attentats, ce n’est pas – à de rares exceptions près - la pauvreté, mais bien un déficit d’éducation.

Dans les écoles de l’enseignement officiel, tous les élèves suivent désormais un cours de philosophie et citoyenneté. Une bonne chose pour le vivre-ensemble, selon vous ?
Je pense que l’on a géré la crise (NDLR : née de l’arrêt de la Cour constitutionnelle qui oblige la Fédération Wallonie-Bruxelles à octroyer une dispense du cours de religion ou de morale sur simple demande des parents ou des élèves majeurs). Je prône un « cours de religions et de philosophies » de la 1re à la 6e secondaire. Il rassemblerait pendant quatre périodes par semaine tous les élèves de la classe. Dans un cours de religion ou de morale laïque, on est entre soi. Devant toute la classe, quand on dit quelque chose, on y réfléchit à deux fois et c’est enrichissant de confronter ses convictions à celles des autres.

Ce cours verrait se succéder les professeurs de morale, de philosophie et des différentes religions enseignées à l’école. Cela permettrait à tous les élèves de connaitre la religion des autres, d’avoir des réponses à leurs questions. C’est ce que je souhaite transmettre dans mon dernier spectacle, Gehenne. Le personnage principal, c’est un Belge radicalisé, condamné à la prison à vie pour s’être fait exploser dans une école juive. Nourri de haine à l'égard des juifs et des chrétiens, il se transforme en rencontrant un prêtre catholique et une femme juive.

Les responsables politiques et religieux ont créé un Institut de formation des cadres islamiques. Qu’en pensez-vous ?
C’est indispensable ! Tous les imams devraient avoir de solides connaissances en sciences humaines, une formation historique. Parler le français ne suffit pas : ils doivent connaitre les codes de notre société occidentale, être capables de situer les préceptes du Prophète dans leur cadre historique et sociétal.

Les jeunes trouvent aussi beaucoup de savoirs sur internet…
Sûrement ! Tous les élèves doivent recevoir une éducation aux médias. Ils doivent comprendre que l’on peut manipuler des images, tronquer des discours pour faire dire aux gens des choses complètement différentes.

Mais quelles suggestions donnez-vous aux enseignants qui voient des élèves s’opposer, au nom de convictions religieuses et familiales, à des théories scientifiques. Comme, par exemple, la théorie de l’évolution des espèces ?
D’une part, on peut montrer que la culture européenne se nourrit de la culture musulmane. Par exemple, dans La légende des siècles, Victor Hugo a écrit le poème L’an 9 de l’Hégire. Il relate la mort du Prophète Mahomet avec une beauté à faire trembler. Autre exemple, l’architecture et l’art musulman ont droit de cité en Espagne comme à l’Alhambra de Cordoue.

D’autre part, on peut attaquer le religieux par le religieux. Le concept de la théorie de l’évolution des espèces était présent dans la science islamique du Moyen Âge, bien avant Darwin alors que jusqu'au 17e siècle, la pensée biologique occidentale était dominée par l'essentialisme selon lequel les espèces possédaient des caractéristiques inaltérables. Quant à l’interdiction de dessiner des corps nus, les savants arabes, à l’origine de la médecine actuelle, n’hésitaient pas à le faire.

Ainsi, on peut reconnecter les jeunes avec leurs origines. Contourner l’écueil du devoir de loyauté par rapport à la famille et à la communauté. Leur faire comprendre que loyauté ne signifie pas allégeance et qu’ils n’ont de devoir de loyauté que vis-à-vis d’eux-mêmes.

Ma génération a fait changer beaucoup de pratiques de nos parents. Les miens, hier, n’allaient pas au théâtre…

Propos recueillis par
Patrick DELMÉE et Catherine MOREAU

En deux mots

Gradué en relations publiques à l’ULB, puis licencié en sciences sociales à l’UCL, Ismaïl Saidi a travaillé dans la police avant de devenir réalisateur, scénariste dramaturge et comédien. Sa pièce Djihad lui a permis d’aller rencontrer des jeunes pour ouvrir le débat. Le tome 2, Géhenne, tourne actuellement en Belgique. Ismaël Saidi a aussi écrit « Finalement il y a quoi dans le Coran », avec Rachib Benzine, « Les aventures d’un Musulman d’ici » ou « Les aventures du petit Ismaël : à l'école du vivre-ensemble ».

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