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Magazine PROF n°33

 

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Apprendre à parler ensemble

Article publié le 01 / 03 / 2017.

Cette rubrique invite un ou des experts à faire part d’un message jugé important, dans le contexte actuel. Agnès Florin et son équipe ont expérimenté dans des dizaines de classes maternelles françaises un dispositif se fondant sur les approches interactionnistes du développement langagier. Parce qu’on n’apprend pas à parler tout seul…

On sait que les compétences langagières des jeunes enfants sont statistiquement associées à plusieurs caractéristiques familiales : le niveau de scolarisation (notamment celui des mères) et le niveau socioéconomique.

En général, les familles ayant un niveau élevé sur ces critères offrent plus de ressources matérielles, sociales et langagières à leurs enfants, plus de stimulations cognitives et d’encouragements, et leur laissent plus d’autonomie dans la production orale, en comparaison avec les familles de milieu défavorisé.

Agnès Florin est une spécialiste du développement des enfants dans les contextes éducatifs (famille, préscolaire, scolaire).
Agnès Florin est une spécialiste du développement des enfants dans les contextes éducatifs (famille, préscolaire, scolaire).
© Agnès Florin

Mais l’hypothèse d’un « handicap socioculturel » ou « sociolinguistique » des enfants de milieu défavorisé, développée dans les années ‘70, a été récusée dès les années ‘90 par de nombreux chercheurs, en particulier des psycholinguistes étudiant le développement des compétences langagières des jeunes enfants en interaction avec des adultes, ainsi que des sociolinguistes.

En examinant les interactions entre de jeunes enfants et leurs parents, une approche plus globale a été privilégiée, qui peut être qualifiée d’affectivo-cognitive : les pratiques éducatives familiales consistant plutôt à encourager et soutenir l’enfant dans ses propres actions amplifient son impact sur l’environnement, lui permettent d’affirmer son rôle d’interlocuteur actif et contribuent au développement de ses compétences de communication orale.

Grands, moyens et petits parleurs*

À l’école maternelle française (correspondant à la période 3-6 ans, voir 2-6 ans), plusieurs expérimentations ont été réalisées et évaluées avec mon équipe dans des dizaines de classes, dès les années ‘90, en se fondant sur les approches interactionnistes du développement langagier, notamment celle de Bruner.

Sans cibler les enfants de milieux défavorisés ou ayant des troubles du langage, il s’agit de faciliter la prise de parole en groupe, la familiarisation avec les livres, à travers des activités de communication en petits groupes, en distinguant grands, moyens et petits parleurs, de manière à assurer un maximum de dialogues de l’enseignant avec chaque enfant.

Ces trois petits groupes (1/3 de la classe chacun) sont constitués en début d’année sur la base d’une observation externe (environ 15 minutes) du nombre de prises de parole de chaque enfant lors d’un moment de langage avec l’enseignant en grand groupe-classe. Il ne s’agit pas de « groupes de niveaux » : le groupe des grands parleurs peut regrouper des enfants ayant de bonnes capacités langagières et d’autres qui ne peuvent s’empêcher de parler beaucoup, tout en ayant une expression nettement moins élaborée. De même, celui des petits parleurs peut réunir des enfants seulement timides et d’autres aux moyens langagiers réduits.

Des séances régulières

Lors de ces séances régulières en petits groupes (au moins une fois pour chaque enfant tous les 15 jours), il est demandé aux enseignants : d’apprendre aux enfants des règles conversationnelles et de faire respecter les tours de parole (notamment dans le groupe des grands parleurs, mais très vite aussi dans les autres) ; de solliciter – si nécessaire - chaque enfant à tour de rôle, en veillant à lui répondre (ce qui l’encourage à reprendre la parole) ; de prendre chacun comme interlocuteur (parler avec l’enfant et pas seulement parler à l’enfant).

En effet, nombre de jeunes enfants restent « petits parleurs » en situation collective, sans avoir de difficultés particulières de langage, simplement parce qu’ils sont concurrencés par d’autres qui savent mieux s’affirmer dans l’accès aux conversations collectives avec l’adulte.

Faute d’être sollicités personnellement ou de recevoir des réponses individualisées à leurs prises de parole, ces « petits parleurs » se mettent rapidement et durablement à l’écart des conversations scolaires, et ils sont ainsi défavorisés pour progresser dans la maitrise de la langue, les enseignants s’adressant en groupe-classe essentiellement à ceux qui prennent la parole.

Il faut aussi du contenu à ces séances, en diversifiant les thèmes et les fonctions du langage ; alléger la charge cognitive et émotionnelle des échanges (on ne demande pas tout, en même temps, aux jeunes enfants), aider au développement du lexique et de la conscience phonologique, favoriser les compétences métalinguistiques des enfants.

Un impact positif et rapide

Le suivi pendant deux ans de plusieurs centaines d’enfants de douze classes ayant mis en place de telles activités en petit groupe a montré un impact positif et rapide sur leur communication orale, dès sept ou huit séances, avec des transferts de compétences aux situations plus contraignantes de grand groupe, et, pour les plus grands, sur les débuts de l’écrit : développement lexical, identification de mots écrits.

Il faut aussi veiller à une évaluation régulière des compétences et des besoins des enfants, qu’ils soient au contact d’une seule langue familiale ou de plusieurs, avec un ajustement du dispositif selon quelques principes discutés avec les équipes :

- individualiser les échanges avec tous les enfants et pas uniquement ceux de milieu défavorisé, en s’adaptant aux besoins individuels des tout-petits ; éviter les stimulations du style « apprentissages techniques » ;

- ne pas se focaliser essentiellement sur l’apport de vocabulaire, mais considérer les différents aspects de la socialisation langagière et des relations qui se créent à travers le langage oral ;

- respecter le rythme de chaque enfant ; associer les professionnels à une analyse réflexive de leurs pratiques d’interaction et de communication ;

- replacer les interactions verbales adulte-enfant dans un cadre plus large d’aide au développement, d’échange de pensées et d’émotions.

Les grands parleurs ont aussi
beaucoup à apprendre

Il s’agit là de principes largement renseignés par la recherche depuis des décennies, et qui devraient être intégrés dans la formation des professionnels de la petite enfance, plutôt que de penser des dispositifs centrés sur une partie des enfants considérés comme « petits parleurs » en situation collective, sans considérer leurs processus de développement plus globalement (communication verbale et non verbale, mais aussi développement cognitif et social), d’une part dans leurs différents contextes de vie, et d’autre part dans les relations sociales qu’ils construisent ensemble en crèche ou en école maternelle, quel que soit leur niveau de participation orale.

Les « grands parleurs » ont aussi beaucoup à apprendre, avec « l’étayage » des adultes, ne serait-ce que pour respecter les prises de parole des autres enfants et laisser le temps de répondre à ceux qui s’expriment moins spontanément ou n’ont pas encore les mots pour le faire.

Le langage est à la fois objet d’apprentissage et vecteur de nombreux autres apprentissages, moyen d’échanger des pensées et de tisser des liens sociaux : on n’apprend pas à parler tout seul, et pas seulement en maternelle…

Agnès FLORIN
Professeur émérite de psychologie de l’enfant
et de l’éducation à l’Université de Nantes.

* Les intertitres sont de la rédaction.

En deux mots

Après un doctorat en psychologie sur les pratiques du langage à l'école maternelle, à l'Université de Poitiers, Agnès Florin a effectué la première partie de sa carrière au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) dans le laboratoire de psychologie de l'Université de Poitiers.

Nommée ensuite Professeur à l'Université de Nantes, elle a conduit des recherches sur le développement des enfants dans les contextes éducatifs (famille, préscolaire, scolaire), qui ont donné lieu à plus de deux-cents publications.

Mme Florin apporte son expertise à de nombreux organismes français et internationaux sur la maitrise du langage et le plurilinguisme, la qualité de l'éducation de la petite enfance et le bien-être des enfants. Chevalier de la Légion d'Honneur en 2009, Agnès Florin est Professeur émérite depuis 2012.

Deux ouvrages sont particulièrement liés au texte présenté dans ces pages :

- Parler ensemble en maternelle : la maîtrise de l’oral, l’initiation à l’écrit, Paris, Ellipses, 1999 ;

- Le développement du langage, Paris, Dunod, 2016.

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