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Magazine PROF n°28

 

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Transformer l’école avec les enseignants

Article publié le 01 / 12 / 2015.

Cette rubrique invite un spécialiste de l’éducation à faire part à nos lecteurs d’un message qu’il juge important, dans le contexte actuel. Pour Vincent Dupriez, la principale garantie de qualité dans un système éducatif, ce sont ses enseignants.

Vincent Dupriez : « Certains acteurs éducatifs pensent que le changement repose sur les enseignants eux-mêmes ».
Vincent Dupriez : « Certains acteurs éducatifs pensent que le changement repose sur les enseignants eux-mêmes ».

Dans un contexte caractérisé à la fois par une crise socio-économique et par des interrogations sur nos identités, on ne cesse de solliciter l’école pour préparer les individus à vivre et à agir dans un tel environnement. Et l’on ne demande plus à l’école aujourd’hui de travailler avec les élèves les mieux préparés, mais plutôt de conduire l’ensemble d’une classe d’âge vers la maitrise d’un socle de valeurs et de savoirs leur permettant de s’insérer et de participer à ces sociétés en tension.

De telles demandes complexifient radicalement le travail scolaire et requièrent de l’école des transformations massives dont on sait qu’elles sont loin d’être aisées. On sait aussi que rénover l’Ecole est un projet de longue haleine, et que les réformes de l’école conduisent bien plus souvent à des échecs qu’à des réussites, surtout lorsqu’elles ont pour ambition de transformer le cœur des systèmes éducatifs, le travail quotidien des enseignants au sein des classes. Les tentatives de diminution du recours au redoublement ou les aléas relatifs à l’organisation du premier degré du secondaire illustrent bien chez nous la difficulté à s’accorder sur l’avenir de l’école, mais aussi et surtout la difficulté à mettre en œuvre un changement qui a fait l’objet d’un accord.

La recherche en éducation a abondamment traité cette question du pilotage du changement et je voudrais dans ce texte présenter la diversité des conceptions du changement qui prévalent aujourd’hui (1) et expliquer pourquoi l’une d’entre elles me semble être la voie la plus crédible.

Le changement grâce aux outils

S’appuyer sur des outils (didactiques, pédagogiques, numériques …) pour fonder et promouvoir le changement pédagogique est une tradition ancienne dans de nombreux systèmes éducatifs. En Amérique du Nord, c’est la conception prioritaire du changement qui fleurit dans les années ‘60 et ‘70. Cette conception du changement repose prioritairement sur le travail d’experts devant concevoir de tels outils, dont la diffusion est ensuite assurée par les autorités éducatives. Les recherches menées à cet égard vont toutefois montrer l’insuffisance d’une telle conception du changement et le fossé qui existe entre la conception d’un bon outil et son usage dans les classes.

Dès la fin des années ‘90, on voit toutefois très clairement resurgir une conception renouvelée de cette approche. La référence-clé devient « l’éducation fondée sur des preuves » à l’instar notamment d’une médecine fondée sur des preuves. Ceux qui promeuvent cette approche, très présente en Amérique du Nord à nouveau, sont convaincus que la recherche expérimentale peut apporter les preuves irréfutables de la supériorité de certaines méthodes pédagogiques et didactiques. Une fois ces preuves disponibles, le rôle des autorités est dès lors de développer un système d’accompagnement des écoles afin que ses acteurs s’approprient de tels outils.   

Le changement par la Gouvernance

Face aux échecs constatés de nombreuses réformes pédagogiques, face également au développement du néo-libéralisme et aux transformations de la gestion publique, un autre discours va se développer dans les pays occidentaux à la fin du XXe siècle : faute de pouvoir réformer la pédagogie, il faut changer les modes de gouvernance de l’école.

Les manifestations les plus visibles d’une telle évolution sont d’une part le développement des (quasi-)marchés scolaires et d’autre part le développement de ce que l’on qualifie de pilotage par les résultats. Les théories sous-jacentes à ces deux mouvements sont différentes, mais l’intention est la même : plutôt que de prescrire les pratiques éducatives attendues, il faut faire pression sur les enseignants pour s’assurer qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes au service de leur profession et de leurs élèves.

Dans le cas du marché scolaire, il s’agit de permettre aux familles de choisir leur école, espérant de la sorte que les meilleurs établissements seront récompensés et que les établissements de moindre qualité seront amenés à fermer leurs portes, désertés par les familles. La source de la pression à exercer sur les équipes éducatives vient donc principalement des familles, tandis qu’avec le pilotage par les résultats, la pression vient, en partie du moins, de l’autorité publique.

Dans une telle configuration, les écoles sont censées disposer d’une relative autonomie sur leurs choix éducatifs et pédagogiques, mais elles sont périodiquement évaluées au regard de leur capacité à atteindre les objectifs définis pour l’ensemble du système éducatif, à travers notamment des épreuves standardisées d’évaluation des acquis des élèves.

Ici aussi, de multiples recherches existent et illustrent tant les effets indirects que l’incapacité de ces nouveaux modes de gouvernance à améliorer substantiellement les systèmes éducatifs.

Le changement avec et par les enseignants

Une troisième conception du changement est revendiquée par un certain nombre d’acteurs éducatifs. Dans ce cas de figure, ce sont les enseignants eux-mêmes qui sont perçus comme les principaux auteurs du changement pédagogique. Un tel point de vue met en avant à la fois la singularité et la complexité des situations éducatives. Au regard de cette singularité, au regard aussi de la multiplicité des enjeux (cognitifs, sociaux, éthiques …) présents dans les situations éducatives, les défenseurs d’un tel point de vue vont radicalement contester tant la possibilité de disposer de solutions standardisées pour l’ensemble des situations éducatives que l’intérêt des nouveaux modes de gouvernance.

Dans cette perspective, que personnellement je rejoins, la principale garantie de qualité dans un système éducatif, ce sont ses enseignants. Eux seuls, en s’appuyant sur un jugement professionnel aiguisé, sont susceptibles de combiner adéquatement, dans chaque situation particulière, les ressources à leur disposition avec les besoins de leurs élèves.

Une telle orientation, qui s’appuie sur une large relation de confiance envers les enseignants, requiert évidemment un certain nombre de transformations dans la conception de la formation et de la carrière des enseignants : une formation initiale qui prépare concrètement les enseignants à agir en situation professionnelle, une formation initiale et continue qui dote les enseignants des outils théoriques permettant d’analyser leur environnement professionnel et d’y développer des pratiques créatives, une conception du métier où l’enseignant apprend et travaille au quotidien avec ses pairs (2) afin de répondre collectivement aux défis rencontrés.

Dans un tel schéma, on ne s’oppose pas au développement à large échelle d’outils pédagogiques de qualité, on ne s’oppose pas non plus au recours à des standards et à des épreuves standardisées, qui balisent les objectifs communs d’un système éducatif, mais on sait que la meilleure garantie de qualité, c’est la confiance dans un corps enseignant dont les compétences sont élevées et la légitimité est forte.

Vincent DUPRIEZ

(1) Lire à ce sujet DUPRIEZ, V. (2015). Peut-on réformer l’école ? Approches organisationnelle et institutionnelle du changement pédagogique. Bruxelles : De Boeck.
(2) Ce qui suppose aussi de nouveaux modes de définition de la charge de travail des enseignants, intégrant de manière automatique un temps de travail en école avec les collègues.

 

En deux mots

Vincent Dupriez, professeur à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’éducation de l’Université catholique de Louvain, est aussi directeur du Groupe interdisciplinaire de Recherche sur la Socialisation, l'Éducation et la Formation (Girsef). Il y développe des recherches dans le domaine de l’analyse des politiques et des organisations éducatives, avec une attention particulière à la question des inégalités sociales face à l’école et aux parcours éducatifs.

Outre Peut-on réformer l’école ? publié en 2015 (lire ci-contre), il a dirigé (avec Régis Malet) la publication de L'évaluation dans les systèmes scolaires - Accommodements du travail et reconfiguration des professionnalités (De Boeck, 2013) et L'efficacité dans l'enseignement - Promesses et zones d'ombre, avec Xavier Dumay (De Boeck, 2009).

Membre de la Commission de pilotage du Système éducatif - il y est l’un des sept experts en pédagogie – Vincent Dupriez participe aussi aux travaux du Pacte pour un enseignement d’excellence.

 

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