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Magazine PROF n°26

 

Droit de regard 

L’école et la citoyenneté : plus que jamais d’actualité

Article publié le 01 / 06 / 2015.

Dans cette rubrique, notre invité porte un regard sur l’enseignement. La parole au philosophe Vincent de Coorebyter, à la barre, pendant 15 ans, du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP).

Vincent de Coorebyter : « Il ne suffit pas d’expliquer au sens formel, juridique, pour faire comprendre ; il faut aussi faire « adhérer » au système démocratique ».
Vincent de Coorebyter : « Il ne suffit pas d’expliquer au sens formel, juridique, pour faire comprendre ; il faut aussi faire « adhérer » au système démocratique ».
© de Coorebyter

PROF : Selon des enquêtes, les jeunes connaissent mal nos institutions et s’intéressent peu à la politique. Or, selon vous, « l’enjeu de l’enseignement a toujours été de faire comprendre et de faire apprécier ». Comment y parvenir ?
Vincent de Coorebyter :
L’école doit transmettre, expliquer, contextualiser, apporter un éclairage historique pour faire comprendre le monde dans lequel nous vivons.                                                         

C’est un travail très complexe, mais aussi paradoxal. Car la démocratie repose sur des libertés fondamentales, sur la souveraineté populaire, mais passe aussi par un ensemble de règles contraignantes permettant de la faire fonctionner. Cela peut amener des éléments contradictoires entre eux. On l’a vu récemment dans le cas de la tension entre liberté religieuse et liberté d’expression.

Il ne suffit pas d’expliquer au sens formel, juridique, pour faire comprendre ; il faut aussi faire « adhérer » au système démocratique. Ce qui exige d’approfondir les choses, de percevoir leur logique, leur raison d’être, de se mettre à la place d’un interlocuteur… tout en restant critique.

S’approprier un savoir, mener une réflexion autonome, cela va donc au-delà de la simple restitution. Cet effet espéré est-il programmable et contrôlable ? Je ne suis pas sûr qu’un enseignant puisse distinguer, parmi ses élèves, ceux qui sont arrivés au bout de la démarche et ceux sur lesquels l’apprentissage « glisse ». 

Une chose me semble sûre, cependant. Pour amener les élèves à comprendre et intérioriser la démocratie, il faut mélanger l’apprentissage de savoirs sur base livresque et une préparation à cette appropriation. Celle-ci serait, par exemple, l’expérimentation d’une mini-démocratie (un Parlement Jeunesse…), des rencontres avec des représentants politiques, syndicaux…

L’école doit-elle être aussi une démocratie ?
Pour la philosophe Hanna Arendt, l’école est conservatrice par principe puisque sa mission est de transmettre des savoirs. En même temps, l’obligation scolaire a été vécue, au 19siècle, comme une conquête sociale émancipatrice.

L’école doit donc assumer de ne pas être un lieu démocratique, au sens égalitaire du terme, et pouvoir amener progressivement les élèves à percevoir les limites de la connaissance, le bien-fondé des contraintes, la complexité du monde, la relativité de certains savoirs.

De cette façon, elle prépare les jeunes à la tension entre la liberté et les contraintes de la vie professionnelle et de la vie démocratique. L’élève sera d’autant plus armé pour mener sa part de critique face au système que l’école aura été un lieu d’imposition de normes et de réflexion permanente.

Vous avez participé au Comité d’accompagnement de l’étude Aborder le fonctionnement politique de notre démocratie en classe ? (1) Elle pointait, en 2007, la rareté de ressources adaptées, le manque de formation des enseignants… Est-ce encore vrai ?
Globalement oui. L’école n’a pas encore assumé son rôle de préparation à la citoyenneté. La plupart des savoirs scolaires n’abordent pas directement les valeurs, les relations interpersonnelles, les rapports de pouvoir… On y touche lors des cours de sciences humaines et les cours philosophiques, mais c’est assez marginal par rapport aux savoirs de base.

En outre, comment éviter l’écueil de la subjectivité du formateur ? Cette question se repose aujourd’hui avec le cours de citoyenneté : un des défis sera de mettre en place un référentiel et des supports de cours qui ne susciteront ni malaise ni controverse. Ce cours ne devra pas être non plus un robinet d’eau tiède, axé sur des principes tellement consensuels qu’ils n’ont pas de portée.

L’étude de 2007 pointait aussi la difficulté de sortir de l’émotion. A-t-on plus de recul aujourd’hui ?
L’école doit prendre en compte la multiplicité des usages et des références. Les élèves se nourrissent de médias qui n’invitent pas toujours à une prise de distance, à un dialogue critique. Nombre de médias veulent séduire et renforcent le prisme à travers lequel le jeune voit le monde. Le résultat, ce sont les lectures multiples et contradictoires des attentats du 11 septembre 2001, de ceux de Paris, de la situation en Israël… C’est un phénomène nouveau : il n’y a plus, comme autrefois, de canaux communs de décryptage de la complexité du monde, qui entrainaient une étroitesse d’esprit mais facilitaient le dialogue.

L’éducation aux médias, et au numérique en particulier, est donc un enjeu fondamental. Mais il ne faudrait pas que cela se fasse au détriment de la culture du livre, de la science, de la rationalité. Il y a des choses qui ne se comprennent, ne s’intériorisent qu’au fil d’un travail plus lent, plus patient, dont le livre est le medium.

Que pensez-vous de l’idée d’un cours de philosophie à l’école ?
Les élèves doivent se confronter à la pensée des autres pour comprendre leur propre pensée. Ils doivent saisir la différence entre l’affirmation d’une valeur et celle d’un préjugé. C’est cela, la question philosophique chère à Socrate : une prise de distance, une réflexion sur nous-mêmes, un travail sur nos manières spontanées d’affirmer, de sentir, d’imposer. C’est fondamental dans une pluralité humaine complexe. Quand ce travail se fait collectivement, chacun peut comprendre que nous sommes tous animés de convictions discutables.

Votre avis sur l’arrêt de la Cour Constitutionnelle qui donne aux parents de l’enseignement officiel le droit de ne pas inscrire leur enfant aux cours philosophiques ?
C’est le résultat d’une ambigüité née en 1993, lors du financement de la laïcité par l’État. Le cours de morale non confessionnelle a alors changé de statut. Ce cours qui abordait des questions sociétales sans couleur convictionnelle a été lié à une vision idéologique spécifique.

Cet arrêt crée une situation complexe qui doit encore décanter. La nouvelle « heure de citoyenneté » amènera sans doute à réinventer quelque chose de très proche du cours de morale non confessionnelle.

Un souvenir marquant de votre parcours scolaire ?
Lorsque j’étais en secondaire à l’Athénée de Koekelberg, des professeurs de français nous ont fait découvrir l’analyse de texte. À travers des textes aussi différents que Les carnets du major Thomson (Pierre Daninos), un poème de Dino Buzzati, une chanson de Brel ou un extrait de L’offrande lyrique, de Tagore. J’ai appris à approfondir le plaisir de la lecture en allant au-delà du récit, pour décortiquer, soupeser un mot, une phrase, repérer une dimension d’ironie, ou poétique, tout ce qui relève du style, des procédés. J’ai découvert qu’un texte repose sur toute une série de stratégies qui sont des manières de ferrer le lecteur.

Propos recueillis par
Patrick DELMÉE et Catherine MOREAU

(1) Un projet de la Fondation Roi Baudouin. https://dossier.kbs-frb.be/fr/Virtual-Library/2007/294954

En deux mots

Docteur en philosophie, Vincent de Coorebyter a été directeur général du Centre de recherche et d’information socio-politiques de 1998 jusqu’en décembre 2013. Il en préside encore le Conseil d’administration.                                                            

Il est actuellement titulaire de la chaire transversale (Facultés de Philosophie et Lettres et de Droit et de Criminologie) de Philosophie sociale et politique contemporaine à l’Université libre de Bruxelles.

Spécialiste de l’écrivain Jean-Paul Sartre auquel il a consacré sa thèse de doctorat et plusieurs livres, Vincent de Coorebyter a écrit de nombreux ouvrages et articles sur le système démocratique, la politique belge et la laïcité. Il est aussi membre de la Classe des Lettres de l’Académie royale de Belgique.

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