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Mise en ligne le 3 avril 2024

Enseigner le génocide des Tutsis au Rwanda et la colonisation

Cette année sont commémorés les 30 ans du génocide des Tutsis au Rwanda. Un événement directement lié à la colonisation. Pourquoi et comment enseigner ces matières ?

Le 7 avril 1994, la résidence de la Première ministre Agathe Uwilingiyimana est prise pour cible. Elle et dix para-commandos belges chargés de sa protection sont assassinés par des soldats rwandais.
Le 7 avril 1994, la résidence de la Première ministre Agathe Uwilingiyimana est prise pour cible. Elle et dix para-commandos belges chargés de sa protection sont assassinés par des soldats rwandais.
© CCLJ

Quelques éléments historiques

Les racines du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda remontent à la colonisation du pays. La Conférence de Berlin de 1885 attribue le Rwanda et le Burundi à l'Empire allemand. En 1916, ces deux pays passent sous administration belge et deviennent le Ruanda-Urundi.

L'administration belge divise la population rwandaise et burundaise, autrefois unies, en trois ethnies fixes : les Tutsis, les Hutus et les Twas. Au Rwanda, elle consacre la division en offrant notamment des privilèges aux Tutsis, au détriment des Hutus et des Twas. Au fil du temps, le ressentiment et les violences des Hutus à l’encontre des Tutsis se sont consolidés et aggravés après l’indépendance de 1962.

L’assassinat du président rwandais le 6 avril 1994 déclenche le génocide. Les extrémistes Hutus massacrent les Tutsis et les opposants Hutus. En juillet 1994, le génocide prend fin. Plus d’un million de victimes est déploré.

Travail de mémoire et de prévention

Félicité Lyamukuru, rescapée du génocide, arpente les écoles belges et françaises pour rencontrer en moyenne 2.000 élèves par an. « L’enseignement permet de développer l'humain et l’empathie. Il est aussi important de connaitre l'histoire du monde. L’école contribue à s’ouvrir vers l’extérieur », affirme-t-elle.

Pour cette miraculée, enseigner le génocide a aussi pour vocation de confronter les jeunes au passé colonial de leur pays et d’effectuer un travail de prévention. « L’autocritique permet que les jeunes de demain, les futurs décideurs, ne répètent pas les erreurs de leurs prédécesseurs. L'abandon des Tutsis est la conséquence de décisions diplomatiques et politiques », explique-t-elle.

Cédric Laureys est étudiant en 1re année à la Haute École Francisco Ferrer en section 3 (pour enseigner de la 5e primaire à la 3e secondaire) et se forme déjà au sujet. « On considère comme acquis les combats contre la violence, les ségrégations et les stéréotypes. Mais la question du génocide refait surface à travers l’actualité et il faut en parler », confie-t-il.

Des aides face à un sujet complexe

Ce futur prof de français et de philosophie et de citoyenneté qualifie le métier d’enseignant de « facilitateur » : son rôle est notamment d’aborder des sujets tabous et rendre accessible des matières complexes. « Avec le génocide, par exemple, j’aurai la responsabilité de m'attaquer à quelque chose de difficile et de le transformer pour que ce soit appréhendable par des élèves. »

Certains freins peuvent empêcher d’aborder sereinement le génocide des Tutsis. « Les limites sont organisationnelles : il faut trouver le temps. Mais elles sont aussi personnelles. Certains profs d'histoire ne sont pas forcément à l'aise avec ce sujet et craignent les réactions des élèves ou des parents. Ce génocide et le pays dans lequel il est enseigné, la Belgique, ne sont pas anodins », explique Jill Lampaert, enseignante de français à l’Ecole du Futur à Mons et engagée dans la transmission de la mémoire.

Alors comment s’y prendre ? « Un enseignant commence par s'informer sur tout l’historique. Une fois renseigné, il doit avoir la volonté de transmettre son savoir. Il faut aussi s’organiser et s’emparer de ressources externes : rencontrer des témoins, assister à des procès, lire des ouvrages, etc. », conseille Félicité Lyamukuru.

Se faire accompagner semble primordial. « Les formations sont très importantes parce qu’il y a des intervenants qui connaissent le sujet, on apprend comment l’aborder, on rencontre des gens. Un prof ne peut pas tout faire, chacun ses spécificités », ajoute Jill Lampaert.

Il est possible de se tourner vers la Direction Citoyenneté, Mémoire et Démocratie (CiMéDé) qui offre des ressources, des accompagnements informatifs et des formations à l’attention de l’ensemble des acteurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Ses missions et ses activités s’articulent autour de trois axes : la prévention de la polarisation et des extrémismes violents, la promotion de la citoyenneté et de l’interculturalité, ou encore l’éducation à la citoyenneté par l’enseignement et la compréhension de l’Histoire.

La colonisation dans les nouveaux référentiels

Enseigner le génocide des Tutsis au Rwanda implique d’aborder la colonisation belge. Avec l'introduction, dans le tronc commun, des nouveaux référentiels de formation historique, géographique, économique et sociale, la compréhension du passé colonial belge deviendra un élément essentiel du parcours scolaire de tous les élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles.

La plateforme e-classe met à la disposition des enseignants des ressources pédagogiques sur la colonisation belge en Afrique centrale pour les aider à appréhender, analyser et contextualiser, au sein de leur classe, les multiples facettes de cette histoire, afin de permettre aux élèves d’établir un lien dynamique entre le passé, le présent et l’avenir de la Belgique, du Burundi, de la république démocratique du Congo et du Rwanda.

Loïs DENIS