À la Une | DécryptagePartage | Reportage | Témoignage | Archives | S'abonner à l'infolettre

Mise en ligne le 03 octobre 2023

Néopass Stages: « des vidéos ramenant du réel dans la formation des futurs enseignants »

La plateforme Néopass Stages présente plus de 300 vidéos d’analyse de pratiques de classe, bientôt disponibles sur abonnement à tous les instituts de formation d’enseignants.

À partir de 27 leçons données en stage par des futurs institutrices et instituteurs, l’équipe de Néopass Stages a conçu 304 séquences disponibles sur la plateforme, qui vont au-delà de la captation de ce qu’on voit en classe. 

Marc Blondeau, professeur à la Haute École Galilée et initiateur du projet, nous explique.

PROF : Que propose la plateforme ?

Marc Blondeau : On a quatre types de vidéos. Des situations de référence, où on voit l’étudiant qui donne cours pendant 6 à 10 minutes. Des vidéos d’auto-confrontation (NDLR : largement majoritaires, avec 228 vidéos dont on peut visionner un exemple sur https://neopass-stages.be/), capsules de 2 à 6 minutes qui alternent moments de classe et moments d’explications par l’étudiant. Des vidéos d’experts (deux didacticiens du français et deux didacticiens des maths) analysant ce que fait l’étudiant avec un regard plus critique. Et des vidéos de bilan de l’expérience par des étudiants.

On propose quatre portes d’entrée vers les vidéos :

  1. Par les vidéos, avec une série de filtres, qui peuvent se cumuler. Par exemple les vidéos sur « donner la consigne » par des étudiants de 2e année. Quand on clique sur une vidéo, une page comprend la vidéo, sa description, ses tags, des vidéos associées,… ainsi que le bouton par lequel on peut l’ajouter à sa playlist ou la partager.
  2. Une porte d’entrée par les scénarios, qui sont de trois types : du développement intra-individuel sur les trois années d’études ; des mises en perspectives inter-individuelles (des styles de gestion de classe contrastés par exemple) ; ou autour de concepts comme par exemple les gestes professionnels.
  3. Une poste d’entrée par vidéo aléatoirement proposée par la plateforme.
  4. Et via l’onglet My Neopass de la page d’accueil, en se construisant sa playlist partageable (à un-e collègue autorisé-e à se connecter bien entendu).

Et on peut aussi sélectionner les vidéos selon des filtres qui peuvent se conjuguer : leçons liées à la mise au travail des élèves, à la mise en commun ; vidéos d’étudiants de 1re, 2e ou 3e année, cycle scolaire, type de vidéo, sujet de la leçon, étudiant.

Quels sont les bénéficiaires actuels de la plateforme ?

Pour l’instant, à la Haute Ecole Galilée, on travaille avec les enseignants qui testent le dispositif et mobilisent les vidéos dans leurs cours. On utilise ces vidéos pour faire des retours de stage, notamment. On analyse un exemple de vidéo de stage d’un étudiant de 1re ou de 2e année.

Comme cela se passe dans un contexte sécurisé puisque ce ne sont pas eux qui sont filmés, on a plus de facilité pour que les étudiants analysent ensuite leurs propres pratiques : Ce qu’on a dit là, ce qu’on a vu dans cette vidéo, est-ce que vous l’avez vécu aussi, vous, en stage ?

On a d’autres pratiques. Par exemple des didacticiens de mathématiques formant des étudiants à aller en stage en 1re primaire travaillent les premiers apprentissages numériques. Outre le bagage théorique et des activités, on travaille à partir de vidéos captées lors d’une leçon sur la construction des nombres 4 et 10. Là aussi, il ne s’agit pas de leurs leçons : ils analysent les vidéos au regard de ce qu’ils ont travaillé au cours, et ça leur permet de se projeter, parce que deux semaines plus tard ils vont aller donner ce type de leçon…

Bientôt sur abonnement

La plateforme va-t-elle s’ouvrir hors de la Haute École Galilée ?

C’est l’objectif : on va diffuser l’accès à d’autres hautes écoles et à des universités en Belgique et à l’étranger. Il y a une centaine de personnes qui ont demandé une inscription sur le site, à qui j’ai répondu que ça arriverait bientôt…

Ce sera pour quand ?

Pour l’instant (ndlr : été 2023), les juristes réalisent les conventions. Puis nous communiquerons en précisant les conditions d’utilisation, et la Haute École Galilée proposera des abonnements. Parce que ça coute du temps, et les fonds du Financement de la recherche et Hautes Écoles ne suffisent pas à couvrir tous les frais du projet. Si on veut pérenniser le programme et étendre à d’autres niveaux d’enseignement, il faut qu’on récolte des sous, via ces abonnements. Quand une institution s’abonnera, ses enseignants pourront accéder à la plateforme et nous irons former les enseignants intéressés.

304 vidéos

Combien de vidéos la plateforme propose-t-elle ?

Nous avons filmé 27 vidéos, à partir desquelles on a créé une série de capsules (304 au total) que les enseignants mobilisent dans leurs cours. On a donc un panel assez large de leçons : on ramène du réel dans la formation…

Il y a 15 ans, on avait commencé déjà avec des vidéos scénarisées, qu’on trouvait sur internet. Mais les étudiants nous disaient : C’est bien, mais ce sont toujours des profs qui ont 20 ans d’expérience, avec 12 enfants assis gentiment sur le tapis, au Québec, mais moi je suis ici à Bruxelles, avec toutes les réalités qu’on connait, et ce n’est pas la même chose ! Maintenant on a des vidéos d’étudiants de 1re, 2e, 3e, dans des classes bruxelloises, dans des écoles d’indices socio-économiques variés.

Ces vidéos « rendent visible de l’invisible », dites-vous… Mais encore ?

Il y a toujours un écart entre ce qui est prescrit et le réel. Et c’est normal parce qu’il y a un conflit de logique entre l’école ou le maitre de stage et ce que l’étudiant va arriver à faire. Ce conflit donne naissance à l’activité réelle, en classe, née de compromis opératoires. En classe, et dans les vidéos de séquences de cours, on voit les actions, mais pas les délibérations internes de l’étudiant et liées à ces compromis. Or, c’est ça qui est intéressant quant à l’amélioration des compétences.

Toute la partie visible, on la voit quand on filme l’étudiant, mais on ne sait pas ce qui se passe dans sa tête. Et quand il nous le raconte, on se rend compte qu’à tel moment, il est en difficulté, il panique, il s’interroge, il doit faire des choix. Ce sont ces moments-là qu’il est intéressant de mettre en évidence, et on le fait dans les vidéos d’auto-confrontation.

Comprendre comment l’étudiant apprend son métier

Quand on est un expert et qu’on regarde ce que fait l’étudiant, on a tendance à écraser l’expérience novice sous l’expérience experte. Et à projeter notre expertise dans ce que l’étudiant vit. Alors que si on prend les choses par l’autre côté, on s’intéresse aux ressources de l’étudiant, à sa manière de réfléchir et de les mobiliser pour arriver à donner cours, alors qu’il n’a pas encore donné cours.

Ces vidéos d’auto-confrontation sont très très éclairantes parce qu’elles ont permis ici (et dans toute ma thèse, qui tourne autour de ce genre de dispositifs), de comprendre comment l’étudiant apprend son métier petit à petit dans les classes.

On accepte qu’on puisse voir des étudiants qui sont dans des situations difficiles, mais ce sont des situations typiques d’étudiants qui commencent, pour obtenir l’attention, pour donner des consignes, pour gérer le matériel,… Ce sont des difficultés par lesquelles ils passent tous, à des degrés différents…

Que diriez-vous pour convaincre des collègues formateurs d’enseignants ?

Tout le monde dans la formation pointe cet écart entre la théorie et la pratique, entre ce qu’on nous raconte en haute école et ce qu’on voit sur le terrain. Et forcément il y a un écart, parce que le terrain, c’est l’endroit de la pratique active, du savoir expérientiel, du test, tandis que la haute école et l’université, c’est l’endroit où les savoirs sont quelque part figés pour pouvoir être transmis, appris.

Un lien entre théorie et pratique

C’est cette alternance entre la théorie et la pratique qui fait que l’une et l’autre peuvent s’enrichir mutuellement. Cette articulation est difficile à faire parce que dans les formations en alternance, elle est souvent laissée… à la responsabilité de l’étudiant. Il vit quelque chose dans sa classe dans l’institut de formation, puis il vit quelque chose dans sa classe en stage, et parfois il a des difficultés à établir le lien entre les deux.

Ici, ce que nous proposons, ce sont des vidéos d’activités réelles, d’étudiants, qui parlent aux étudiants. Quand ils voient une vidéo d’un étudiant de 1re qui a donné son premier cours alors qu’eux viennent de le donner, ils se reconnaissent. C’est un outil très fort pour faire le pont entre la théorie et la pratique, en permettant d’analyser de vraies situations de classe, dans un environnement sécurisé, parce que ce ne sont pas eux-mêmes qui sont mis sur la sellette.

On peut critiquer, discuter, envisager les options, les liens avec la théorie, sur un objet externe, avant de se poser des questions sur sa propre expérience. Dans ce que j’ai vu de Frédéric sur la vidéo, y a-t-il quelque chose que j’ai moi aussi ressenti, vécu ? Quelles solutions ai-je trouvées ? Qu’est-ce que moi j’ai mis en place ? Qu’est-ce que je pourrais faire la prochaine fois. Ces vidéos, c’est ramener du réel dans la formation. C’est vraiment ça…

Une des spécificités de notre plateforme belge, par rapport à Néopass@ction (lire De Néopass@ction à Néopass Stages), c’est sa perspective longitudinale, tout au long des trois années de formation. Au fur et à mesure, cette étudiante qui avait des difficultés en 1re à donner des consignes, on la retrouve en 2e avec un intérêt pour les consignes, et on arrive à une chouette vidéo de 3e où on mesure l’évolution. Ces vidéos ont tout leur sens quand on les met en perspective, parce que ça donne toute la valeur au travail de l’étudiant, parce qu’on voit comment il apprend le métier sur la longueur…

Des réactions de collègues ?

Ce qu’on constate assez souvent, c’est que les formateurs sont assez critiques face à la situation de référence (où l’on voit l’étudiant en classe), mais quand on leur montre la vidéo d’auto-confrontation, ils se rendent compte que l’étudiant a une série de préoccupations très riches. Si on ne regarde que la séquence filmée en classe sans écouter ce que l’étudiant en dit en auto-confrontation, on n’accède pas à toute la richesse de ce matériau qui permet d’accéder au sens qu’il donne à son activité.

La modification de la formation initiale des enseignants a-t-elle une incidence sur le projet ?

La plateforme arrive au bon moment. Dans les grilles de cours, il y aura un cours d’analyse de pratiques, de pratique réflexive, qui existait déjà dans les hautes écoles à travers les cours d’ateliers de formation professionnelle, les retours de stage,… mais ici il y aura un cours dédié.

Ici on a une plateforme dédiée au primaire, néanmoins entre des élèves de fin de 6e et des élèves de 1re secondaire, et quand des étudiants interviennent en novembre dans des classes de 1re primaire, ça se rapproche de ce qu’on pourrait voir en 3e maternelle. Par contre c’est très différent de ce qu’on voit en 5e secondaire évidemment. Mais on travaille sur Néopass Stages secondaire…


Propos recueillis par
Didier CATTEAU

 

De Néopass@ction à Néopass Stages

La plateforme Néopass Stages est la déclinaison belge du programme de recherche Néopass@ction, mené par Luc Ria, directeur de l’Institut français de l’Éducation (Ifé Lyon). Elle s’en distingue par une focalisation sur des stagiaires en formation initiale d'institutrices et instituteurs primaires.

Marc Blondeau, initiateur de Néopass Stages : « Il y a quelques années on a commencé à travailler ici à la Haute École Galilée avec des vidéos, parce que dans le cadre de mon mémoire, j'avais récolté des vidéos que nous avons utilisées avec des collègues. »

« Quand Luc Ria est venu en Belgique à l'invitation de Catherine Van Nieuwenhoven, dans le cadre de la Chaire Unesco de pédagogie Former des enseignants au XXIe siècle, un collègue et moi lui avons présenté notre travail, et il nous a proposé de participer à une journée sur la vidéo-formation, parce qu’il y a beaucoup de théoriciens mais il y avait peu d’exemples d’analyse de dispositifs pratiques. »

« L’idée a germé de faire une thèse de doctorat sur l’analyse de l’activité des enseignants stagiaires en formation initiale (NDLR : défendue avec succès en mars 2023). Catherine Van Nieuwenhoven, professeure à l’UCLouvain, est devenue ma directrice de thèse. Comme elle travaille depuis longtemps en collaboration avec Luc Ria dans le cadre de la Chaire Unesco, il est entré dans le comité d’accompagnement de ma thèse… »

« En 2019, Catherine Van Nieuwenhoven m’a dit : Si on faisait un Néopass belge ? On a contacté la direction de la Haute École Galilée et de l’Institut supérieur de pédagogie Galilée (ISPG), qui ont marqué leur accord. Luc Ria, nous a fait confiance et a marqué son accord. Nous avons rentré un projet au Financement de la recherche et Hautes Écoles (FRHE), ce qui nous permis de monter une petite équipe… »

Outre Catherine Van Nieuwenhoven, qui a une vision plus large du projet, et Marc Blondeau, qui en gère les aspects scientifiques et la formation des formateurs à l’utilisation des vidéos, l’équipe peut compter sur François Lambert, ingénieur du son à la base, est devenu formateur d’enseignants spécialiste des TICE.

« Avec cette double casquette technique et pédagogique, il prend les images, enregistre les sons, fait les montages, et gère les contacts avec la société qui gère la plateforme. On se complète bien : moi j’essaie de rendre compte de la complexité de l’acte d’enseigner chez les jeunes enseignants en stage, et lui rappelle qu’il faut une communication simple, penser utilisateur, que les choses soient claires… C’est cette tension-là qu’on essaie de résoudre à deux et qui donne la plateforme telle qu’elle est… »

En 2022-2023, la Haute École Louvain en Hainaut a rejoint le projet, en la personne de Coryse Moncarey, psychopédagogue, qui réalise une thèse sur la réflexivité, ce qui complète très bien l’équipe.

,