Magazine PROF n°58
Dossier Les mutilations génitales féminines
Mutilations, mariages forcés : informer, détecter sans stigmatiser
Article publié le 16 / 06 / 2023.
Pour beaucoup, les vacances sont la période propice aux bons souvenirs. Pour de nombreuses jeunes filles, elles augurent violences, douleurs et souffrance à vie.
L’école étant un maillon essentiel dans le processus d’information, de prévention et de signalement en termes d’égalité, de violences faites aux femmes, et donc dans ce domaine, il est normal que PROF traite de ce sujet.
En 2016, selon l’UNICEF, au moins 200 millions de filles et femmes vivant actuellement dans plus de 30 pays ont subi une forme de mutilation génitale féminine (MGF).
En 2022, des chercheuses du GAMS Belgique et de l’Agence wallonne de la Santé, de la Protection sociale, du Handicap et des Familles (AVIQ) ont été chargées de mener une étude sur cette problématique en Belgique. La recherche a été menée en collaboration avec Fedasil, Médecins du Monde, ONE, Opgroeien, ULB et d’autres secteurs concernés.
Cette étude est une demande conjointe de la secrétaire d'État à l'Égalité des genres, à l'Égalité des chances et à la Diversité, du ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, de l'Institut pour l'égalité des femmes et des hommes et du SPF Santé publique, Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement.
Ses objectifs sont d’actualiser les données de 2016 et d’évaluer le nombre de filles et femmes résidant en Belgique victimes de MGF.
MGF?
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les MGF - mutilations génitales féminines - sont toutes les interventions aboutissant à une ablation totale ou partielle des organes génitaux de la femme. Ces interventions sont pratiquées en dehors de toutes fins thérapeutiques.
Types
Ces mutilations sont classées en quatre types :
- Type 1 : la clitoridectomie, le clitoris et/ou le capuchon du gland du clitoris sont coupés
- Type 2 : l’excision, le gland du clitoris (totalement ou partiellement) et les lèvres internes et/ou lèvres externes sont coupés
- Type 3 : l’infibulation, le gland clitoris et les lèvres internes sont coupés et les lèvres externes sont cousues afin de rétrécir l’orifice vaginal ne laissant qu’un petit trou pour le passage des urines et du sang des règles
- Type 4 : toutes les autres interventions pratiquées sur les organes génitaux féminins, en dehors de toute fin thérapeutique, comme la ponction, le percement, l’incision, la scarification et la cautérisation.
De nombreuses conséquences
Que les MGF soient réalisées dans les pays d’origine ou par des exciseuses expatriées, ces mutilations impliquent toujours de nombreuses conséquences physiques, psychologiques et sociales.
Sur le moment même, il y a évidemment la douleur et l’état de choc qu’un tel acte peut causer, des hémorragies pouvant entrainer la mort, des infections, des lésions aux organes voisins…
Sur le long terme, les conséquences physiologiques peuvent être diverses et durer toute une vie : infections urinaires, douleurs, incontinence, kyste, problèmes lors des grossesses et accouchements, troubles de la sexualité, … Le risque de complications est plus grand en cas d’infibulation.
Les conséquences psychologiques et sociales sont celles liées à un trauma. Celui-ci peut s’exprimer via la perte de confiance envers les autres et soi-même, occasionner des troubles du comportement, causer des dépressions et toutes les conséquences que cela implique (difficultés d’apprentissage, professionnelles, relationnelles et sociale).
Comment une petite fille, une ado peut-elle s’impliquer dans ses études si elle craint les vacances au pays d’origine, si elle a peur de ce qu’on pourrait lui faire ou si elle a été excisée et qu’elle souffre ? Halimata Fofana en témoigne dans l’entretien qu’elle nous a accordé.
Raisons invoquées
Plusieurs raisons sont avancées par les populations et ethnies concernées par ces pratiques comme le respect de la coutume et de la tradition, la cohésion sociale, l’importance de ces pratiques sur le couple (virginité, chasteté, fidélité), la beauté, la pureté, la religion (même s’il n’existe aucune prescription religieuse à pratiquer les MGF et que les MGF sont pratiquées à la fois par les musulmans, les chrétiens, les animistes),….
Ce sont ces raisons qui « justifient » le fait que des filles majoritairement entre 4 et 14 ans subissent ces pratiques. On observe d’ailleurs un abaissement de l’âge de l’excision car de nombreux pays où on la pratique ont légiféré contre celle-ci. En pratiquant les MGF plus tôt, l’enfant est alors trop petit pour fuir ou pour porter plainte. Il arrive aussi d’être excisée juste avant le mariage si la belle famille l’exige.
Et dans le monde?
La carte ci-dessus nous montre une évidence : cette problématique dépasse les frontières des pays concernés et la Belgique est également confrontée à ces pratiques.
Comme le montre le graphique ci-dessous, le nombre total de filles et femmes excisées ou à risque ne cesse d’augmenter en Belgique depuis 2007.
35 459
Selon, l’étude de prévalence des MGF en Belgique datant de juin 2022, dont les promoteurs sont l’Institut pour l’Egalité des Femmes et des Hommes et le SPF Santé publique, la Sécurité de la Chaîne alimentaire et Environnement , il ressort qu’au 31 décembre 2020, 93 685 filles et femmes originaires d’un pays où se pratiquent les mutilations génitales féminines résidaient en Belgique.
Parmi elles, 35 459 sont soit déjà excisées et/ ou infibulées, soit à risque dont 12 730 jeunes filles mineures.
Plus de 16 500 filles et femmes excisées ou à risque vivent en Région Flamande, 10 000 en Région Bruxelles-Capitale et 8 800 en Région Wallonne.
Chaque année, 1 700 femmes excisées nécessitant une prise en charge appropriée accouchent dans une maternité belge.
Pourquoi une telle augmentation?
Que ces filles ou femmes soient probablement excisées ou à risque de l’être, elles ont comme point commun une origine ethnique où ces pratiques existent.
On peut expliquer cette augmentation importante en Belgique par l’augmentation de l’accueil de femmes originaires des pays où les MGF sont encore pratiquées sur plus de 90% des femmes comme la Guinée et la Somalie. Les filles à risque sont pour la plupart des enfants nées des mères excisées vivant en Belgique.
Il était donc indispensable de mettre régulièrement à jour (tous les 4 ans) cette estimation de la prévalence afin de permettre aux divers services impliqués dans la protection des filles et la prise en charge des femmes excisées de cibler leurs actions.
Et l'école dans tout cela?
L’école est un maillon essentiel dans le processus d’information, de prévention et de signalement en termes d’égalité, de violences faites aux femmes, et donc dans ce domaine.
Ainsi, depuis le 9 décembre 2022, le Gouvernement de la FW-B a adopté en première lecture le protocole d’accord de coopération entre la Communauté française, la Région Wallonne et la COCOF, relatif à la généralisation de l’EVRAS.
Cet accord contient des nouveautés majeures essentielles comme une généralisation de l’EVRAS en milieu scolaire. Ainsi des animations externes seront obligatoires pour tous les élèves de P6 et de S4 dans l’enseignement ordinaire ainsi qu’en maturité IV et en phase 4 (forme 3 et 4) de l’enseignement spécialisé (lire La Fédération Wallonie-Bruxelles et l’EVRAS dans votre magazine PROF de mars 2023).
Cette généralisation de l’EVRAS permettra de mettre en place des dispositifs de prévention concernant les MGF. En effet, il n’est pas rare que des filles ou jeunes filles prennent conscience qu’elles ont subi une MGF lors des cours de sciences ou des activités EVRAS : les schémas qu’on leur présente ne sont pas le reflet de leur propre sexe excisé
Il est essentiel que les enseignants et enseignantes, les responsables d’animations EVRAS soient sensibilisés à cette réalité. Comment réagir face à une élève qui fait cette « découverte » ? Comment en parler sans juger la famille ? Les origines de cette élève ? Sans apporter de jugement de valeur ?
Comment aider une jeune fille qui craint un mariage forcé lors des vacances ? Quels sont les signes, les indices indiquant un risque potentiel de mutilation sans stigmatiser une culture, une famille ? Vers qui se tourner en amont ? Vers qui se tourner après ? Et bien d’autres questions légitimes dans cette situation.
Laissons le mot de la fin à Halimata Fofana dans son dernier roman « A l’ombre de la cité Rimbaud »[1], elle écrit : « Je crois que j’attendais qu’un adulte voie ma souffrance, détecte mon mal-être sans que j’aie à le formuler. Clémence, ma maitresse de maternelle, que je croise par hasard, s’inquiète de cette nouvelle expression sur mon visage, toujours grave. Elle sent que quelque chose ne va pas, et fait un pas vers moi. (…) Je la regarde, je voudrais lui parler, mais je n’y arrive pas. Peut-être qu’en m’arrachant mon petit bout, la sorcière m’a également arraché un morceau de ma langue. (…) La plupart des adultes ignoreront mon mal, alors je fais de même. Je m’ignore. On ne m’a rien fait. Je n’ai rien subi. ».
[1] Halimata FOFANA « A l’ombre de la cité Rimbaud » pp. 61-62, Editions du Rocher 2022.
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