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Magazine PROF n°57

 

Libres propros 

Tu m’enseignes, je te rencontre. Tu me reconnais, j’apprends

Article publié le 06 / 03 / 2023.

Cette rubrique invite un/des expert(s) à faire part d’un message jugé important dans le contexte actuel. Laissons la plume à Alain Schmidt et Jean‑François Horemans.

© sbdlgpw

En 2023, comme au cours des 50 dernières années au moins, des élèves seront confrontés au jugement selon lequel « ils ne sont pas faits pour les études », ils n’ont pas « la bosse des maths » ou « le don des langues », ils manquent d’attention ou de rigueur, ils sont dormeurs ou perturbateurs.

Bref, ils auront entre 8 et 18 ans, leur vie commencera à peine mais d’autres seront d’ores et déjà certains qu’ils « n’arriveront jamais à rien ».

Ces sentences ont rythmé nos scolarités respectives. Elles étaient définitives.

Nous les entendons parfois chez celles et ceux qui, ayant poussé les portes de l’enseignement de Promotion sociale, déposent les armes, estimant trouver dans un obstacle naissant, la démonstration selon laquelle certaines évolutions professionnelles leur demeureront inaccessibles, ainsi que tel prédicateur le leur avait annoncé dès leurs premiers parcours scolaires avortés.

Les enfants de l’École de Barbiana écrivent d’or lorsqu’ils dénoncent certains enseignants fonctionnant « comme un hôpital qui renverrait chez eux les malades et soignerait les personnes en bonne santé (1)  ».

N’est-il pas scandaleux de trouver des parcours « réussis » par esprit de revanche contre des titulaires pourtant chargés d’aiguiser l’appétit d’apprendre ?

N’est-il pas plus scandaleux encore de constater que des milliers de parcours scolaires puis professionnels auraient pu prendre une autre tournure et propager leurs bénéfices à la société dans son ensemble, fût-ce à travers une contribution fiscale associée à une réussite professionnelle plus affirmée ?

N’est-il pas révoltant que le premier représentant d’un parti politique déclare au journaliste Pascal Vrebos (2) qu’il faut inviter un enfant de 14 ans à oublier ses rêves parce qu’il n’égalera jamais le prodige mondial à travers lequel il se perçoit ?

C’est oublier qu’il faut, disait Gustave Flaubert, « mettre l’imaginaire au service du réel (3) » .

Rencontrer et rêver ensemble

Peu importe la discipline ou la matière enseignée, notre conviction est qu’il n’est pas d’enseignement sans rencontre (4), d’apprentissage sans reconnaissance (5), de motivation (6) sans réussite, d’objectif atteint sans objectif rêvé.

Pour enseigner, il faut aimer les gens, croire en eux, faire le pari de leur réussite, poser les paroles et les actes qui leur permettront de croire en l’éventail de leurs possibles, pour peu qu’un cadre hors menace leur donne une chance de les concrétiser.

Écrivant ces mots, nous heurtons les défenseurs du mérite, pour qui seul paie le travail véritable, porté par la vaillante ambition de s’en sortir, loin des parcours « assistés ».

La raison voudrait que l’on préfère le travail soutenu dont résulte une réussite méritée, au résultat de parcours peu volontaires, ourdis de démarches laborieuses ou paresseuses, de tricheries et d’autres estompements.

Apprendre à voir le monde

Le débat tourne en rond lorsque les contradicteurs oublient Rousseau et « son » Émile ou, plus près de nous les Invariants de Freinet, les Obstacles à la communication de Gordon, les Postulats de Burns et ce florilège infini d’apports qui, d’Astolfi à Zay, en passant par Antibi, Bandura, Borst, Deci, Decroly, Desmet, Houdé, Korczak, Lebrun, Meirieu (7), Pascal, Pourtois, Pepinster, Rayan, Rey, Viau, Vygotski et bien d’autres encore, nous invite à penser tout apprenant à travers ce qui le caractérise, l’élaboration progressive de sa manière de voir le monde, d’apprendre, de se forger des centres d’intérêt, de se mobiliser pour un objectif déterminé, de vaincre les obstacles ou, encore notamment, de trouver, dans la discipline qui le cadre, un contexte propice aux apprentissages plutôt qu’une prison infligée sans perspective ni but jusqu’à sa majorité.

Pour nous, et c’est ce qui motive nos ouvrages (8), l’acte d’enseigner est une aventure au sens de Gérard Mendel (9). Il est pensé, engagé, agi, soumis à autoévaluation permanente. Il s’inscrit à rebours de toute certitude, de toute conviction figée.

Il procède par questionnements fidèles à la falsifiabilité de Karl Popper, au refus des causalités linéaires tel que Boris Cyrulnik le propose et à la détermination de voir en tout interlocuteur les potentialités que cache souvent une relation initiale malhabile, parfois même vulgaire ou violente, aux autres et aux savoirs qu’ils proposent.

Voir au-delà de la carapace

En cela, nous ne dérogeons pas à une tradition enseignante qui, de Don Bosco à Paolo Freire, de Joseph Jacotot à Fernand Oury, d’Adolphe Ferrière à Marcel Pagnol (10), de Mary Ainthworth à Blaise Pierrehumbert, a posé le pari que tout être se développe favorablement lorsqu’un autre signifiant a su reconnaître ce qu’il porte en lui au-delà de la carapace rugueuse qu’il affiche et des ouvertures qu’il rejette par crainte de voir une fois encore ses rêves massacrés à coups de sanctions péremptoires formulées sur base d’évaluations partielles.

Nous posons qu’il faut, pour enseigner, aimer par avance chacun de ses interlocuteurs et croire en lui au-delà de toute limite apparente.

« Tu m’enseignes, je te rencontre. Tu me reconnais, j’apprends. (11) », tel devrait être, selon notre expérience, la clef d’un pas de deux réussi, pour qu’apprenants et enseignants puissent grandir ensemble en accueillant chaque savoir, enveloppé de ses attraits (12), dans la savoureuse richesse de ses promesses et de sa complexité.

Jean-François HOREMANS et Alain SCHMIDT


(1) L’École de Barbiana, Lettre à une enseignante, Agone, 2022, p. 14
(2) VREBOS P., « L’invité », RTL-TVi, 11/12/2022
(3) CHAILLAN M., « Ils vécurent philosophes et firent beaucoup d’heureux », Alpha essai, 2022, p. 51
(4) parce que « sans intérêt réciproque, le processus [d’enseignement] ne peut pas s’amorcer », ROSA H., Pédagogie de la résonance, Le Pommier, 2022, p. 70
(5) Nous référons à la pyramide des besoins de Jean-Pierre Pourtois et Huguette Desmet, cfr La pédagogie postmoderne, PUF, 1997
(6) plus encore de « mobilisation des élèves sur les connaissances », MEIRIEU P., La Riposte, Autrement, 2018
(7) KÜBLER T., À contre-voie – Philippe Meirieu, Pédagogue, Mosaïque Films, 2001
(8) Pratiquer la pédagogie de la rencontre en apprentissage, Chronique sociale, 2003 ; Vingt conflits pour apprendre, Jets d’Encre, 2021 ; Pédagogies de la nouvelle chance – Le coeur et l’écorce, Chronique sociale, 2022
(9) MENDEL G., L’acte est une aventure, la découverte, 1998, 571 p.
(10) « On lui dit qu’il était bon élève et il le devint », PAGNOL M., Le temps des amours, Bernard de Fallois, 1988, p. 76
(11) Ce titre est libellé en référence à la maxime de Célestin Freinet, « Tu me dis, j’oublie. Je fais, je retiens. »
(12) Marianne Chaillan rappelle, en page 275 de son livre, qu’Aristote et Cicéron le proposaient déjà.

En deux mots

Docteur et agrégé en Sciences politiques et sociales, diplômé en Éthologie clinique et en Neuroéducation, maitre en Management public et en Sciences du Travail, qualiticien et conseiller en prévention, Jean-François Horemans est expert invité près la Faculté de Philosophie et de Sciences sociales de l’ULB. Il enseigne la Psychopédagogie à EAFC-Namur-Cadets.

Maitre en Sciences du Travail, qualiticien et titulaire du Certificat européen de Formation universitaire en Travail social, Alain Schmidt est formateur d’adultes et conférencier spécialiste des processus managériaux et de réinsertion sociale. Il enseigne notamment le Management stratégique aux EAFC de Marcheen-Famenne et de Namur-Cadets.

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