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Magazine PROF n°52

 

Droit de regard 

« Se déclarer analphabète, c’est encore vécu comme une
honte !
»

Article publié le 10 / 12 / 2021.

Lire et Écrire estime que 10 % de la population ne maitrisent pas les compétences de base « lire, écrire, calculer » en Wallonie et à Bruxelles.
Au-delà de la sensibilisation des enseignants, le mouvement espère une
« compréhension mutuelle » entre école et secteur de l’alpha.

Justine Duchesne est chargée de projets d’analyses et études à Lire et Écrire Wallonie, tandis que Geneviève Godenne est responsable de projets et formatrice au sein de la régionale namuroise.

« Pousser la porte de Lire et Écrire, c’est très difficile. Et très courageux ! », soulignent Justine Duchesne et Geneviève Godenne, chargée d’analyses et responsable de projets.
« Pousser la porte de Lire et Écrire, c’est très difficile. Et très courageux ! », soulignent Justine Duchesne et Geneviève Godenne, chargée d’analyses et responsable de projets.
© PROF/FWB

PROF : Comment définit-on l’analphabétisme aujourd’hui ?

Geneviève Godenne : Pour nous, cela concerne une personne qui n’a pas acquis les compétences de base du CEB, « lire, écrire, calculer ». Pour l’Unesco, est analphabète la personne qui rencontre de grosses difficultés à lire et écrire un texte simple en rapport avec sa vie quotidienne. Il y a dans cette définition la notion de compréhension. Ne pas comprendre est un frein par rapport aux actes de la vie quotidienne que sont lire une facture, une lettre d’avocat…

Justine Duchesne : C’est une notion qui change avec les évolutions de la société, avec la trajectoire de chaque personne et avec les outils de mesure. À Lire et Écrire, on se pose beaucoup de questions par rapport au numérique. De nombreux apprenants savent utiliser un smartphone, par exemple, parce que c’est une pratique particulière basée sur l’oral, mais pas un PC, où l’écrit est omniprésent.

Y a-t-il un « filtre » à l’entrée de Lire et Écrire ?

G. G. : On s’occupe des adultes, pas des jeunes en âge de scolarité. Des adultes pas ou peu scolarisés, mais pas des personnes qui ont acquis les compétences « lire, écrire, calculer » dans une autre langue, parce qu’elles ont déjà acquis des stratégies d’apprentissage, dans leur langue. On les oriente vers des structures permettant d’apprendre le
« français langue étrangère ».

A-t-on une « mesure » du nombre de personnes considérées comme analphabètes ou illettrées, en Belgique
francophone ?

G. G. : Il n’y a pas de statistiques. Ni pour ce qui concerne les adultes, ni pour les élèves sortis de l’école obligatoire et ne maitrisant pas les compétences du CEB.

J. D. : On se réfère aux résultats du CEB. Il y a toujours entre 5 et 10 % d’enfants qui quittent le primaire sans l’avoir obtenu. Ils risquent d’être orientés vers des filières qui ne leur permettront pas de pallier ces difficultés. Mais nous n’avons pas de mesure précise. C’est la raison pour laquelle Lire et Écrire recommande de façon constante la création d’un Observatoire. Pour le moment, ces 10 % de la population que l’on évoque pour la Wallonie et Bruxelles se basent sur le recoupement d’études de régions et pays limitrophes, comme la Flandre ou la France, où existent des mesures plus précises.

G. G. : On se doute qu’il y a beaucoup plus de personnes concernées, mais on n’arrive pas à les toucher…

J. D. : Nous disposons de relais, de personnes qui, au sein de nos régionales, font de la sensibilisation, mais se déclarer analphabète, c’est encore vécu comme une honte !

G. G. : Pousser la porte de Lire et Écrire, c’est très difficile. Et très courageux ! C’est pour ça que nous accordons une très grande importance à l’accueil ! Dès le premier coup de fil ou le premier rendez-vous. Très vite, on met la personne en confiance et on l’intègre à un groupe, pour que la personne se dise « Je ne suis pas seule… » L’analphabétisme est vécu comme un problème individuel, mais c’est un problème de société ! C’est super important de rencontrer d’autres personnes ayant le même vécu.

Que vous disent les apprenants par rapport à l’école ?

G. G. : Ils nous disent surtout qu’ils n’ont pas été reconnus ! « On m’a laissé au fond de la classe » ou « On m’a toujours dit que je n’étais pas capable… »

J. D. : Les personnes ont intériorisé cette étiquette, se perçoivent effectivement elles-mêmes comme incapables ! Elles estiment qu’elles ne méritent pas mieux que ce qu’elles visent… L’identification a pris le pas sur l’identité. Il y a vraiment tout un travail de réparation à faire !

G. G. : C’est une impression personnelle, mais depuis 15 ans que je suis ici, il me semble que nos apprenants sont de plus en plus jeunes. J’ai déjà eu un apprenant qui était allé à l’école primaire avec mon fils, par exemple. Pour les plus jeunes, c’est sans doute plus difficile encore de revenir vers ce qui leur apparait comme une école. Mais nous ne sommes pas une école ! On travaille différemment : il n’y a pas de bulletin qui va classer les apprenants ! Il y a vraiment une image à déconstruire…

Quelles seraient les relations idéales entre école et secteur de l’alpha ?

J. D. : Déjà, qu’il y ait une compréhension de ce que vivent nos apprenants, une rencontre. Parce qu’il y a une sorte de décalage, comme s’il y avait un trou entre nous. Ce serait bien qu’il y ait une compréhension mutuelle (1). On comprend que l’enseignant fasse partie d’un système, se retrouve parfois avec des injonctions paradoxales, mais le monde de l’école pourrait s’inspirer des stratégies de Lire et Écrire, qui visent à ce que chaque sujet soit capable d’agir comme citoyen dans la société. Ou des stratégies liées à la motivation.

G. G. : Moi j’aimerais que le monde de l’enseignement prenne conscience des raisons qui font que des jeunes quittent l’école sans avoir les compétences de base. Qu’il puisse se remettre en question. J’ai l’expérience d’intervenir dans les écoles, avec les apprenants. Depuis que je suis à Lire et Écrire, je travaille sur des projets d’action collective, qui permettent aux apprenants de témoigner vers le monde extérieur. Ce sont les groupes qui décident des actions, et très vite, un de mes groupes a voulu aller vers les écoles, parce que ça avait du sens pour les apprenants. Pourtant, ils ont été exclus, ça s’est mal passé à l’école pour eux, ils se disaient qu’ils n’avaient pas de légitimité à témoigner. Et pourtant, ils ont voulu aller vers les enfants, pour leur expliquer combien c’est important de lire, d’écrire, de calculer !

Avez-vous des outils qui pourraient inspirer les enseignants ?

J. D. : Nos outils sont destinés à un public d’adultes. Nous n’avons pas pour mission de créer des outils pour les élèves, d’autant que nous ne travaillons pas sur base de programmes : les outils que l’on crée se basent sur la réalité des apprenants, sur leur quotidien. Mais bien sûr on a des outils, des mallettes pédagogiques, que les enseignants
intéressés trouveront au Collectif Alpha.

G. G. : Nous avons aussi des outils de sensibilisation. Avec un de mes groupes, nous avons créé un jeu, Les Messagers de l’alpha. Le groupe a travaillé trois ans pour le faire, d’abord de façon artisanale, puis en confiant sa réalisation à Cultures&Santé. Les apprenants étaient accompagnés d’un comité de lecture, dans lequel il y avait deux enseignants de 5e et de 6e primaire. Et aujourd’hui, on continue à faire des animations dans des écoles, auxquelles participent des apprenants. On va aussi faire une animation Messagers de l’alpha avec des étudiants de 3e bac « instituteur ». Avec un autre groupe, au départ de témoignages sur les injustices, la thématique de l’école est très vite venue sur le tapis. Avec la Compagnie Buissonnière (de théâtre-action), nous avons créé On a éter abonekol, un spectacle qu’on essaie de présenter une fois par mois. Là aussi, des apprenants viennent jouer alors qu’ils ne sont plus en formation chez nous ! On l’a présenté devant des directions de centres PMS, réunies à Spa ; et à l’école normale de Champion. Ce sont des moments très riches, pour les uns comme pour les autres : les apprenants ont vraiment l’impression de faire changer les choses, à leur échelle…

Propos recueillis par
Didier CATTEAU

(1) Lire à ce sujet le compte rendu de l’atelier « relation entre monde de l’alpha et monde de l’école » organisé par Lire et Écrire le 14 octobre : https://lire-et-ecrire.be/15305#ecole.

En deux mots

Reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles comme mouvement d’éducation permanente depuis 2007, Lire et Écrire existait déjà depuis 1983. Le mouvement, créé par quatre associations liées aux mouvements ouvriers chrétien et socialiste, « agit pour que tout adulte qui le souhaite puisse trouver près de chez lui une alphabétisation de qualité ».

Le mouvement est structuré en huit régionales réparties en Wallonie, cinq centres alpha à Bruxelles, et trois coordinations (Wallonie, Bruxelles et Fédération Wallonie-Bruxelles).

On peut trouver un lieu d’alphabétisation via lire-et-ecrire.be.

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