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Magazine PROF n°39

 

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Éclairer autrement le décrochage scolaire

Article publié le 31 / 08 / 2018.

Cette rubrique invite un ou des experts à faire part d’un message jugé important dans le contexte actuel. Yves Reuter étudie l’impact potentiel des disciplines sur le décrochage ou l’accrochage scolaire.

Notre recherche (1) est partie de la question suivante: « En quoi les disciplines et leur fonctionnement participent de l’accrochage ou du  décrochage scolaire ? »

© Yves Reuter

Pourquoi cette question?

Nous nous interrogions depuis longtemps sur le fonctionnement des disciplines scolaires. Cela nous a conduits à la notion de configurations disciplinaires, qui renvoie aux différentes modalités que les disciplines peuvent prendre selon les époques, les pays, les moments du cursus, les filières, les pédagogies, les prescriptions, les pratiques ou encore les formes de reconstruction - appropriation.

De fait, les mathématiques diffèrent à l’école primaire et en terminale et il existe des écarts entre ce qui est prescrit par les textes officiels et les pratiques des maitres.

Deux conclusions issues de la recherche menée sur une école pratiquant la pédagogie Freinet dans un milieu défavorisé de la banlieue de Lille (2) ont aussi guidé nos réflexions : l’importance des configurations disciplinaires (par exemple, en pédagogie Freinet, en français, l’accent est porté sur l’expression des élèves plus que sur le respect des normes) et l’importance de la reconstruction – appropriation des disciplines (en effet, dans cette école, les disciplines étaient reconstruites différemment de ce qui se passe dans d’autres écoles). On pourrait ajouter à cela que le décrochage y était moindre et que le vécu scolaire des élèves était bien meilleur qu’ailleurs.

Nous avons ensuite engagé une recherche sur la « conscience disciplinaire » (3), c’est-à-dire la manière dont les acteurs scolaires (re)construisent les disciplines. Parmi les principaux résultats, je mentionnerai ceux-ci : la catégorie de discipline est floue à la fin de l’école primaire et le lieu de nombre de malentendus dans le secondaire; les finalités des matières sont peu claires et certaines sont très mal reconnues (par exemple, l’éducation civique).

En outre, ces reconstructions font apparaitre des spécificités disciplinaires : par exemple, le morcèlement du français ainsi que l’importance des émotions, notamment le stress dû à l’angoisse de ne pas comprendre. Cela nous a donc conduits à travailler précisément sur le « vécu disciplinaire » des élèves, c’est-à-dire sur les sentiments et les émotions qu’ils déclarent associer aux matières scolaires, et au rôle que cela pouvait jouer dans l’accrochage ou le décrochage scolaire.

L’originalité de l’éclairage choisi

La majorité des études existantes sur le décrochage sont centrées sur l’extrascolaire : la personnalité des élèves, leur famille, leur milieu social... cherchant à déterminer une population à risques. Ou, même si elles envisagent le décrochage comme un processus au sein duquel l’école tient une place importante, le poids des matières et de leur fonctionnement se trouve relégué loin derrière celui de facteurs plus généraux tels l’orientation, les sanctions, l’évaluation... Il existe là un véritable paradoxe : ce qui occupe la majeure partie du temps scolaire des élèves tiendrait un rôle négligeable dans les processus de décrochage ou d’accrochage.

Les principaux résultats

J’en viens maintenant à quelques-uns des principaux résultats : le vécu disciplinaire est important et concerne tous les élèves; la vie scolaire est opaque pour certains élèves (les notions de « matière » ou de « discipline » ne sont pas claires); certains élèves regroupent les disciplines en fonction des problèmes qu’ils rencontrent (par exemple, maths, histoire, anglais sont associées en raison des difficultés de compréhension qu’elles suscitent); les disciplines pèsent d’un poids plus ou moins important dans ce vécu (à côté des matières « principales », il convient de noter le poids de l’éducation physique et sportive (EPS); le caractère, positif ou négatif, de ce vécu varie selon les configurations disciplinaires (ainsi, les mathématiques peu appréciées à partir du secondaire, sont la matière préférée au primaire); les élèves font souvent avec un vécu disciplinaire globalement négatif (seules, l’EPS et, de manière moindre, les arts plastiques et certaines matières professionnelles dans des filières choisies se caractérisent par un vécu nettement positif).

Le sens des disciplines fait souvent défaut aux élèves notamment en ce qui concerne le rapport à leur identité et aux questions qu’ils se posent, la présence d’apprentissages... Certaines dimensions pèsent fortement dans le mal-être disciplinaire : imposition, évaluation, exposition publique, difficultés de compréhension... En tout cas, ce qui semble fondamental pour les élèves, quelle que soit leur filière, est la manière dont ils peuvent intégrer les disciplines dans leur projet, personnel ou professionnel.

Cette recherche permet ainsi d’articuler les différentes formes et définitions du décrochage (« décrochage cognitif », « absentéisme », « décrochage ») et de comprendre les variations du décrochage selon le vécu des disciplines.

Des perspectives d’intervention

Il ne s’agit donc plus de repérer certaines catégories d’élèves « à risques » auxquelles on appliquerait des traitements spécifiques mais de modifier les fonctionnements disciplinaires « ordinaires » qui engendrent des risques pour tous les élèves.

On voit bien qu’il n’y a rien d’inéluctable dans les effets des disciplines et qu’on peut agir sur les phénomènes d’accrochage/décrochage au sein des classes, via les configurations disciplinaires, en restituant ainsi l’importance de l’action des enseignants.

Cela ouvre ainsi des pistes pour la prévention du décrochage, impliquant l’ensemble des enseignants et des matières : ne pas réduire le système disciplinaire aux matières dites principales; clarifier les notions de matière/discipline; permettre aux élèves de donner du sens au travail effectué dans les disciplines; garantir et sécuriser la compréhension; bannir les humiliations; faire en sorte que les évaluations constituent des aides et non des obstacles; susciter et étayer le désir d’apprendre plutôt que d’imposer; mettre en œuvre des pratiques des pédagogies alternatives qui ont fait leur preuve.

Cela permet encore d’envisager des propositions disciplinairement spécifiées dont je ne donne ici que quelques exemples : en  mathématiques, lever les angoisses liées à la compréhension et étayer l’envie de chercher; en Français, s’appuyer sur le désir de s’exprimer et d’échanger; en histoire-géographie, rompre avec le sentiment d’apprendre sans comprendre…
 

Yves REUTER

(1) REUTER Y. (dir.), Vivre les disciplines scolaires. Vécu disciplinaire et décrochage à l’école, ESF, 2016.
(2) REUTER Y. (dir.), Une école Freinet. Fonctionnements et effets d’une pédagogie alternative en milieu populaire, L’Harmattan, 2007.

(3) COHEN-AZRIA C., LAHANIER-REUTER D., REUTER Y. (dir.), Conscience disciplinaire. Les représentations des disciplines à l'école primaire, Presses Universitaires de Rennes, 2013.
 

En deux mots

Yves Reuter est professeur émérite à l’université de Lille, après avoir enseigné au collège, au lycée et en École Normale. Il est le fondateur de l’équipe de recherche en didactiques Théodile.

Il a dirigé diverses recherches : sur la pédagogie Freinet, sur les expérimentations, sur le vécu des disciplines et le décrochage scolaire, sur l’erreur, sur l’enseignement et l’apprentissage de l’écrit, sur les concepts des didactiques... et publié de nombreux livres et articles.
 

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