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Magazine PROF n°35

 

Coté psy 

Cultiver les compétences émotionnelles des élèves

Article publié le 01 / 09 / 2017.

Comment développer l’intelligence émotionnelle de ses élèves ? Et quels effets peut-on en attendre sur le bien-être et les apprentissages scolaires ?

Moïra Mikolajczak, professeure de psychologie des émotions et de la santé à l’UCL, est spécialiste des compétences émotionnelles.

PROF : Qu’appelle-t-on l’intelligence émotionnelle ?
Moïra Mikolajczak
: C’est d’abord la capacité d’identifier ses émotions et celles des autres, et de les comprendre. Pas facile, car on a souvent tendance à confondre le déclencheur de l'émotion (une remarque, une critique…) avec sa cause plus profonde (un complexe, une insatisfaction générale...).

© Fotolia/Afanasia

Ensuite, c’est la capacité de mettre des mots sur les émotions et les exprimer de manière acceptable et constructive. Et celle de les gérer en employant diverses stratégies pour maitriser ou diminuer leur impact sur le bien-être, et de les utiliser pour faciliter la pensée et l’action.

C’est qu’elles jouent un rôle important, les émotions ! Au niveau intrapersonnel, elles nous éclairent sur ce qui est important pour nous, le degré de réalisation de nos objectifs et de satisfaction de nos besoins.  Et, au niveau interpersonnel, elles nous informent sur l'état de nos relations avec les autres, sur les besoins de l’autre (et vice-versa), encouragent ou découragent des paroles ou des comportements de l’autre.

Ces émotions, elles sont bien présentes à l’école…
Omniprésentes même, qu’elles viennent de l’environnement personnel de l’élève ou qu’elles soient déclenchées par l’école. La classe génère des émotions positives ou négatives et l’on y apprend en interaction avec les autres.

Quel rôle jouent-elles dans les apprentissages ?
Des études ont montré que les émotions modulent les fonctions cognitives. Elles modulent la mémoire (et l’apprentissage) : certaines émotions les améliorent (l'intérêt, l'enthousiasme...), d'autres les détériorent (l'ennui, un stress important). C'est important que les élèves puissent comprendre l'origine de leurs émotions pour ne pas confondre l’affection ou l’antipathie pour un enseignant avec l'intérêt pour la matière donnée. Enfin, elles influencent le style de pensée : des émotions positives engendrent la pensée globale et divergente qui peut produire des idées alternatives, rendre plus créatif. Des émotions négatives engendrent davantage la pensée analytique et convergente (plus logique).

Des études montrent que les compétences émotionnelles modèrent les effets nocifs que peuvent avoir les émotions dans l’apprentissage. Elles ont un impact, par exemple, sur la gestion du stress, sur la capacité de se mettre au travail, sur la réussite dans l’enseignement supérieur…

D’où l’intérêt de les développer chez l’élève…
C’est crucial. L’enjeu est de pouvoir tirer parti des émotions quand elles sont bénéfiques et d’éviter leurs conséquences fâcheuses dans les autres cas. Car ce qui détermine la qualité de notre adaptation à l'environnement, ce ne sont pas nos émotions, mais ce que nous en faisons.

On connait le cas de ce bon élève paralysé par le stress qui perd tous ses moyens au contrôle ou à l’examen. C’est bien utile de l’aider à pouvoir détecter ce stress précocement, au moment où il se manifeste avec une faible intensité, et de lui apprendre à le gérer. Bien utile aussi d’aider certains à identifier, comprendre et dépasser des réactions d’évitement : « Je m’ennuie alors je ne m’investis plus » ou « Je m’y mettrai demain ».

Cette intelligence émotionnelle, l’école la développe-t-elle ?
Elle développe surtout d’autres types d’intelligences : logico-mathématique, linguistique,… La formation à l’intelligence émotionnelle ne fait pas partie de la formation initiale des enseignants et ceux-ci se sentent souvent désarmés face aux émotions des élèves.

Dire, avec bon cœur, à un élève : « Il ne faut pas stresser comme cela »  ne va pas l’aider et ne produira pas l’effet recherché. Bien sûr, certains enseignants laissent la place à l’expression des émotions et fournissent à leurs élèves des stratégies efficaces pour les gérer. Mais cela relève le plus souvent d’une sensibilité individuelle.

Des pistes ?
Les enseignants sont souvent demandeurs de trucs et astuces pour mieux gérer leurs émotions et celles de leurs élèves. C'est complémentaire : on ne peut pas apprendre aux élèves à gérer leur stress quand on est soi-même super stressé ; les élèves fonctionnent souvent par l’observation…

Je travaille avec une équipe à un projet qui devrait voir le jour à la rentrée 2018 : une plateforme en ligne, dont l'accès serait gratuit,  avec  un ensemble d'outils et d'exercices d'amélioration des compétences émotionnelles que testeraient et adapteraient des élèves et des enseignants volontaires.

Propos recueillis par
Catherine MOREAU

Ma petite lanterne, c'est de m'imaginer être mon élève (1)

Logopède, Ericka Wagemans  a accompagné des  élèves sourds ou malentendants dans leur scolarité. Elle a suivi ensuite une formation d’institutrice primaire et s’efforce de développer l’intelligence émotionnelle de ses vingt-deux élèves de 1re  et 2e primaire à l'École Nouvelle, à Saint-Gilles.

PROF : Pourquoi et comment essayez-vous de développer l’intelligence émotionnelle de ces enfants ?
Ericka Wagemans :
C'est en exerçant comme aide pédagogique que j'ai rencontré une institutrice qui a bouleversé ma vision de ce métier. Ainsi, on pouvait être instit' comme on est amie, sœur, maman, en étant soi, avec le cerveau relié au cœur! C'est ce qui m'a poussée à reprendre des études et à m'essayer dans ce métier si engageant. Je tente d'être fidèle, à moi-même et aux enfants, plus qu'aux habitudes d'école. J’essaye de détricoter précautionneusement les mailles qui me semblent désuètes, les "on-a-toujours-fait-comme-ça", les "il-faut-bien-y-passer" et autres mimétismes de gestes et de mots d'enseignants auxquels nous avons été biberonnés. Ma petite lanterne, c'est de m'imaginer être mon élève: "suis-je respectée ? Reconnue ? Considérée avec mes forces motrices, mes jardins secrets, mes écorchures ? Me fait-on confiance ? Accepte-t-on que je ne puisse pas être pleinement performante durant chaque plage horaire qui sépare les récrés? Disponible et curieuse pour la matière travaillée à ce moment-là ?..."  Et, pour que cela soit réaliste, je me pose ces questions pour moi-même également. Je dois me respecter en tant que personne afin de pouvoir respecter mes élèves de la même façon. Ainsi, si je suis fatiguée, énervée, que j'ai peu de ressources, j'adapte le programme! Sur base de ces réflexions, j'essaie de débusquer les "habitudes-poison", source de nervosité, de crispations, et je cherche des alternatives. Pour cela, je m'inspire beaucoup de mes collègues, des élèves et des retours des parents, de mes lectures, de mon fils…

Pouvez-vous illustrer cela par des exemples en classe ?
Lorsque l'un de nous sent émerger une difficulté liée à la vie de groupe, il l'exprime. Au conseil de coopération, chacun donne son avis et ensemble, avec nos idées, nos arguments et contre-arguments, nous élaborons une solution. Et quand elle semble assez solide pour que plus personne n'y voit d'objection, nous l'adoptons. Enfin, tant qu'elle nous convient !

Lors des anniversaires, nous offrons un "cadeau magique" : le fêté s'installe au milieu du cercle, les yeux bandés, et chacun vient lui murmurer à l'oreille un compliment, un souvenir commun, un remerciement, un vœu, ...  L'une de mes élèves a proposé, pendant une période plus « électrique », que chacun écrive un mot tel que "paix", "amitié" ou "recul" sur la paume de sa main. Si une dispute éclate, le premier à se rendre compte que la situation dérape lève la main pour interrompre la discussion et se rappeler l'essentiel: notre amitié, prendre du recul, vivre en paix,...

D’autres moyens mis en place en cas de dispute ?
Oui, nous avons un rituel. D’abord, les enfants respirent, au besoin s'isolent, jusqu'à ce qu’ils se sentent tous deux prêts. Puis, ils se regardent dans les yeux. L'adulte qui accompagne et "dicte" le processus observe les visages qui se détendent. Eh oui! J'ignore pourquoi, mais il est impossible de "plonger dans le cœur" de l'autre en y emportant sa colère, sa tristesse,... C'est ce qui fait la magie de ce rituel !

Ensuite, chacun décrit ce qu’il a vu dans le cœur de l'autre (tristesse, vexation, colère, déception...) et émet une hypothèse sur le « pourquoi » : « parce que je l'ai bousculé, j'ai abîmé son dessin, j'ai refusé de jouer avec lui,... ». Chacun demande à l'autre de confirmer ou de rectifier l'émotion vécue et la raison. L’adulte leur demande alors:

« Votre dispute est-elle nettoyée? Y-a-il encore quelque chose à faire? » . Cela peut être une réparation concrète ou symbolique. Ou un peu de temps ... Un geste d'amitié -souvent tactile - clôture la discussion et c'est ici que l'adulte lira clairement sur les visages la sincérité de la démarche. Restera à l’adulte de dire  aux enfants : « Merci! Ça m'a fait chaud au cœur de vous voir prendre soin de votre amitié avec autant de sagesse! »

J’ajoute que l'adulte veillera à n'entamer ce processus que lorsqu'il se sent lui-même disponible. Car cela demande patience et créativité. Mais son effet est bouleversant !

Avez-vous suivi une formation pour améliorer votre propre intelligence émotionnelle et pour la développer chez vos élèves ?
Il existe de nombreuses sources d'inspiration, de nombreux outils, comme les intelligences multiples, la psychologie positive, les neurosciences, le braingym, la participation citoyenne, la pleine conscience, la gestion mentale, la différenciation, les classes flexibles, les portfolios, les conseils de coopération,... Chacun a parmi tout cela de quoi se confectionner sa propre harpe, en ne choisissant et en n'expérimentant que les cordes qui lui semblent sonner beau et clair!

Sur ce terrain, je grandis en même temps que mes élèves, avec les mêmes outils. Je respire, j'essaie de me laisser traverser humblement par mes émotions et de les nommer, je "rebranche mon cerveau" avec quelques mouvements de braingym,...

Les enfants aussi m'apprennent beaucoup ! Ils sont très créatifs et doués pour concocter des solutions innovantes !

Est-ce un projet personnel ou un projet de l'équipe pédagogique ?
Je me sens particulièrement chanceuse de travailler dans une école et avec une équipe avec qui nous partageons ces valeurs de bienveillance, de diversité et de plaisir de grandir, ensemble. Donc, mon projet personnel a rejoint un projet d'équipe.

Quels sont les bénéfices, les effets positifs que vous observez chez les élèves ?
Difficile de se positionner en tant que juge et partie! Mais j'ai la conviction d'observer chez nos élèves de belles compétences à apprécier les talents des uns et des autres, d'autant qu'ils ne se sentent pas eux-mêmes jugés quant aux compétences qu'ils n'auraient pas encore acquises. Plus confiants en leurs propres potentiels, ils s'engagent plus volontiers dans les défis. Nos enfants me semblent également plus créatifs quand il s'agit de trouver des solutions pour que chacun se sente bien. Bien sûr, il y a des disputes, mais ils ont des outils pour les dépasser. Ou en tout cas, un environnement qui les aide à construire ces outils.

Propos recueillis par
Catherine MOREAU

(1) On lira une version raccourcie de ce témoignage dansla version papier de notre magazine.

Pour en savoir plus

• CLAEYS BOUUAERT M., L'éducation émotionnelle, de la maternelle au lycée, 200 activités pédagogiques et ludiques, téléchargeable via http://bit.ly/2uUgoao.

• DESSEILLES M., MIKOLAJCZAK M., Vivre mieux avec ses émotions, Paris, Odile Jacob, 2013.

• GOVAERTS S., GRÉGOIRE J., Motivation et émotion dans l’apprentissage scolaire, dans GALAND B., GRÉGOIRE E., (Se) motiver à apprendre, Paris, PUF, 2006.

• « Le développement de l’intelligence émotionnelle chez les enfants », dossier de l’Université de Paix {http://www.universitedepaix.org/intelligence-emotionnelle-des-enfants-1}. Par ailleurs, l’Université de Paix propose une formation sur le sujet : http://www.universitedepaix.org/vivre-sereinement-avec-ses-emotions.

• Et l’IFC propose des formations à la gestion des émotions dans le fondamental (code 226001706) et le secondaire (codes 403001714 et 520001704) http://www.ifc.cfwb.be

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