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Magazine PROF n°21

 

L'info 

L’école inclusive se construit

Article publié le 01 / 03 / 2014.

Depuis 2009, l’intégration d’élèves à besoins spécifiques dans l’enseignement ordinaire a fortement progressé. Quels sont les bénéfices, les difficultés et les limites de ce processus ?

Patrick Beaufort est inspecteur de la Ville de Liège, membre du Conseil supérieur et du Conseil général de concertation de l’enseignement spécialisé. Rencontre.

Patrick Beaufort : « Un point positif de l’intégration, c’est que l’enfant reste parmi les siens ».
Patrick Beaufort : « Un point positif de l’intégration, c’est que l’enfant reste parmi les siens ».
© PROF/FWB

PROF: Pendant cette année 2013-2014, 655 écoles de l’enseignement ordinaire accueillent au moins un élève en intégration. Mais parallèlement, la population scolaire augmente dans l’enseignement spécialisé aussi…
Patrick Beaufort :
J’oserais certaines hypothèses. Une mise en évidence positive, du travail réalisé par l’enseignement spécialisé serait-elle un facteur d’orientation ? Ou faut-il pointer le manque de places dans l’enseignement ordinaire qui forcerait à une orientation plus rapide ? Ou encore la pression des parents qui favorise le processus d’intégration (via une inscription préalable dans le spécialisé) ?

Quelles sont les conditions favorables à l’entrée d’une école dans un projet d’intégration ?
Cela suppose à la base une adhésion de l’équipe. Elle doit prendre conscience que la présence en classe d’un autre enseignant – car l’idée n’est évidemment pas de séparer l’enfant ou les enfants de leur groupe ou de partager la classe en deux – vise aussi à modifier les pratiques d’enseignement. Je peux citer de nombreux cas où l’intégration a mené vers le projet de faire réussir la classe entière.

Mais travailler en duo n’est pas facile. Cela représente aussi un surcroit de travail de gérer les relations entre l’enseignement ordinaire et l’enseignement spécialisé, entre les écoles et le CPMS. C’est ce qui a amené la Ville de Liège à créer des commissions de suivi des intégrations (fondamental et secondaire) réunissant des représentants des directions de l’ordinaire, du spécialisé, des CPMS, les inspecteurs concernés,…

Et depuis septembre, en mutualisant les périodes, ce PO a créé un poste de coordinatrice pédagogique (lire « Savoir ce qui se passe ailleurs »). À la Ville de Liège, 135 élèves (105 dans le fondamental et 30 dans le secondaire) venus de neuf écoles spécialisées sont intégrés dans trente-cinq écoles ordinaires.

Quels sont, selon vous, les points positifs de l’intégration ?
Ils sont multiples. L’enfant reste parmi les siens. Il peut prendre conscience de ses difficultés, chercher à progresser, construire son autonomie, récupérer la confiance et l’estime de lui-même. Même si le but ultime n’est pas, dans le fondamental, l’acquisition du CEB.

Je citerais aussi le regard porté sur des enfants en grande souffrance dans l’enseignement ordinaire et qui n’auraient certainement jamais été orientés vers l’enseignement spécialisé. Et la grande satisfaction des parents qui voient progresser leur enfant maintenu dans l’enseignement ordinaire.

Et les points négatifs ?
Probablement le nombre d’heures trop faible de périodes d’accompagnement et le manque de formation des enseignants envoyés dans l’ordinaire. Il y a le risque aussi d’étiqueter l’élève. Une piste serait peut-être de l’orienter dans l’enseignement ordinaire sans préciser le type d’enseignement spécialisé dont il relève. Cela pourrait réduire l’effet Pygmalion, c’est-à-dire le fait d’avancer des hypothèses sur le devenir scolaire d’un élève et les voir effectivement se réaliser…

Un des écueils : le manque de formation des enseignants. Le spécialisé a peu sa place dans la formation initiale et peu de (futurs) enseignants suivent une formation spécifique.
Les futurs instituteurs et régents suivent un module de 30 heures consacré à la différenciation des apprentissages, à des notions d’orthopédagogie, à la détection des difficultés d’apprentissage et leur remédiation. Des modules (15 heures) à option, complétés par un stage, existent aussi pour les futurs instituteurs maternels, primaires et les régents.

Ils leur donnent une information sur l'organisation et le fonctionnement du spécialisé et des notions de pédagogie adaptées aux élèves qui fréquentent ce type d’enseignement. S’ajoutent, dans certaines hautes écoles, une spécialisation en orthopédagogie et, dans l’enseignement de promotion sociale, la possibilité d’acquérir le certificat d’aptitude à éduquer ces élèves. Ce dernier a peu de succès. Il offre une légère revalorisation salariale mensuelle (30€), mais pas d’avantage au niveau de l‘accès ou de la sécurité à l’emploi.

Les inspecteurs ont relevé dans des classes la différenciation limitée des apprentissages, peu de méthodologies spécifiques pour accompagner les élèves à besoins spécifiques, la difficulté d'élaborer un plan individuel d'apprentissage (PIA),…

Et quelles pistes propose le Conseil supérieur de l’enseignement spécialisé (CSES) sur ce sujet à l’heure de la réflexion sur la réforme de la formation initiale ?
Je ne pense pas que la formation doive être vue sous l’angle ordinaire/spécialisé car les élèves à besoins spécifiques sont dans toutes nos écoles. Nous souhaitons donc que chaque enseignant puisse développer en formation initiale et en cours de carrière les compétences nécessaires et des ressources pour surmonter des difficultés.

Dans les référentiels de compétences de l’enseignant définis par le Conseil général des Hautes écoles (1), nous en avons pointé certaines qui nous semblent indispensables pour l’éducation des élèves à besoins spécifiques. Par exemple, adapter ses interventions orales et écrites aux différentes situations, travailler en partenariat avec les familles, les CPMS, mettre en œuvre en équipe des dispositifs pédagogiques (intégration, PIA,…), repérer les forces et les difficultés de l’élève pour adapter l’enseignement et favoriser la progression des apprentissages, concevoir des dispositifs d’évaluation pertinents, variés et adaptés aux différents moments de l’apprentissage,…

Le CSES, qui a remis un avis (2), aurait souhaité participer au groupe de réflexion qui travaille sur la formation à cinq ans. Nous espérons que la formation à l’éducation des élèves à besoins spécifiques soit au centre de cette réflexion.

Mais si l’intégration continue à croitre, ne risque-t-on d’arriver à un plafond suite à son cout et aux freins constatés chez les enseignants ?
Cela fait cinq ans que le système a été mis en œuvre. Il faudra effectivement se pencher sur le cout, sur le fonctionnement général et sur le bénéfice des mesures. Ainsi, le conseil général de concertation pour l’enseignement spécialisé s’est fixé comme objectif de concevoir une proposition de refonte des procédures d’intégration.

Catherine MOREAU

(1) http://bit.ly/1h1pasN
(2) « Une nouvelle ère pour l’enseignement spécialisé », http://www.enseignement.be/CSES

Savoir ce qui se passe ailleurs

La Ville de Liège et l’École primaire spécialisée Saint-Berthuin, à Malonne, ont confié à des coordinateurs le soin de faciliter les contacts entre l’enseignement ordinaire et le spécialisé.

« Pour une élève de 5e primaire en intégration, j’ai construit un bulletin alternatif qui souligne les progrès réalisés en français, en mathématiques et dans d’autres compétences (utilisation du matériel, participation aux travaux de groupe,…), explique Christopher Pairoux, qui enseigne à l’École de Naniot, à Liège. Cela ne remplace pas le bulletin officiel mais cela permet à cette élève de se situer, de connaitre les prochaines étapes et – surtout – de ne pas se décourager ».

L’évaluation des élèves est au menu de la discussion, ce jeudi, dans ce cercle d’instituteurs et institutrices de l’enseignement spécialisé. Tous travaillent à temps plein dans des écoles inclusives et participent aux réunions mensuelles de la coordination pédagogique mise en place depuis septembre par la Ville de Liège.

« J’assiste aux conseils de classe dans les écoles, explique, Carole Baut, la coordinatrice pédagogique. Cela me permet de cibler les difficultés rencontrées par les enseignants. Et, à partir de là, de construire de petits outils (pour améliorer l’organisation temporelle, la compréhension en lecture, …) dont bénéficieront les élèves en inclusion, mais aussi, souvent, l’ensemble des élèves des classes où ils sont accueillis ». Cette coordination travaille aussi à l’élaboration d’une charte qui précisera ce que l’on attend des enseignants qui travaillent en binôme en intégration : la mise en place du plan individuel d’apprentissage, par exemple. Ces réunions mensuelles permettent de donner aux enseignants des informations, des outils et l’occasion d’échanger de bonnes pratiques,… Et de les transmettre ensuite dans leur école.

Car, c’est un regret de la coordinatrice : faute de bénéficier dans leur horaire, de deux heures de conseil de classe rémunérées, comme ceux du spécialisé, explique la coordinatrice, les enseignants de l’ordinaire travaillant en duo ne participent pas à ces réunions mensuelles.

Michèle Simons, qui encadre des élèves dans trois écoles inclusives, témoigne : « Participer à ces réunions nous permet de savoir ce qui se passe ailleurs. S’intégrer dans une école ordinaire ne va pas de soi : il faut créer un climat de confiance, faire sentir qu’on n’est pas là pour juger. Je suis frustrée quand à propos d’un enfant que j’ai aidé le mercredi, j’entends deux jours plus tard : ça n’a quand même pas été. Dans des classes où le nombre d’élèves est suffisant pour fonctionner en duo avec l’enseignant de l’ordinaire, on ne se pose plus la question du rôle de chacun. Et on s’occupe de tous les enfants en difficulté, inclus ou pas ».

Déblayer le terrain

L’École primaire spécialisée Saint-Berthuin, à Malonne, a créé, elle aussi, un poste de coordinateur. « C’est que l’intégration est chronophage », explique Martine Génicot, la directrice. Il est vrai que cette école, qui propose un enseignement de type 8 (troubles des apprentissages), totalise 84 élèves en intégration. Inscrits administrativement dans l’établissement d’enseignement spécialisé, ils fréquentent une bonne vingtaine d’écoles de tous les réseaux dans la région namuroise.

Douze enseignants et trois logopèdes de l’enseignement spécialisé encadrent ces élèves. « Je n’engage pas des enseignants sortant des écoles normales, trop peu formés aux troubles des apprentissages, précise la directrice. Un autre défi consiste à pérenniser l’équipe : pas facile de garder des enseignants qui se déplacent parfois dans cinq écoles différentes et doivent s’intégrer dans chacune d’elles. Et nous ne disposons pas de moyens supplémentaires pour les nombreuses réunions, les déplacements, les rencontres nécessaires… »

De quoi justifier aussi, voici cinq ans, la création d’un poste de coordinateur. Instituteur, licencié en Sciences de l’Éducation, Tanguy Gustin s’occupe, en partenariat avec la directrice, de la préparation des dossiers administratifs. Il prend contact avec les CPMS, les écoles, les parents, voire le Centre de ressources et d’évaluation des technologies adaptées aux personnes handicapées.

Ce centre assure le lien entre les demandeurs, l’Agence wallonne pour l’intégration de la personne handicapée et les sociétés distributrices de matériel (un logiciel pour des élèves qui souffrent de dyspraxie, par exemple). Le coordinateur gère l’organisation des trois conseils de classe annuels dans les écoles inclusives et réunit l’équipe quatre fois par an pour lui permettre d’échanger de bonnes pratiques. « Un acteur de première ligne chargé de déminer le terrain », résume Mme Génicot.

Expliquer, rassurer l’équipe

La directrice le précise : mettre l’intégration en chantier ne s’improvise pas, ni dans l’enseignement spécialisé, ni dans l’ordinaire. « Au départ, nous n’étions pas tout feu tout flamme, explique-t-elle. Il y avait des questions, des réticences, des peurs : est-ce que l’intégration signera l’arrêt de mort de l’enseignement spécialisé de type 8 ? Il a fallu expliquer, rassurer l’équipe. Dans l’enseignement ordinaire aussi, c’est important de faire comprendre aux élèves et aux enseignants que les enfants intégrés ne bénéficient pas de favoritisme. Ce qui est injuste, ce n’est pas que l’on mette en place une d’aide et des aménagements pour leur apprendre à devenir autonomes, mais c’est qu’ils ne puissent y parvenir seuls ».

Et Mme Génicot d’ajouter : « Il arrive que certains projets d’intégration doivent être interrompus parce que les difficultés de l’élève sont telles que l’enseignement spécialisé est préférable pour lui. Mais quand nous récupérons ainsi des enfants, nous constatons que leur estime d’eux-mêmes est meilleure et nous pouvons plus facilement repartir du niveau où ils se trouvent ».

Catherine MOREAU

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